JR inaugurait la fresque « Chroniques de Clichy-Montfermeil » en présence de François Hollande le 19 avril 2017. / Stéphane de Sakutin / Pool/ AFP

En 2015, vous réalisiez Les Bosquets, qui rejouait de façon stylisée, dansée, les émeutes de 2005 dans le quartier. Pourquoi avez-vous souhaité faire ce documentaire, qui montre les choses de façon plus brute ?

Avec Ladj Ly, qui vit aux Bosquets, on capte la vie dans le quartier depuis près de quinze ans, sans chercher à faire un documentaire : on filmait simplement ce qu’il y avait devant nous. On savait qu’on avait des images incroyables, qui ont pris une autre dimension avec le temps, et on en avait fait de petits films. A l’occasion d’une commande d’« Envoyé Spécial », on a cherché à comprendre la manière dont a évolué la pensée des jeunes qu’on suivait. On avait des images et des photos d’eux, des citations rassemblées pour un livre [celui du projet 28 millimètres], et tout le monde est encore là aujourd’hui, c’est une chance incroyable. Mon tout premier grand projet a été Portrait d’une génération, avec les portraits des jeunes du quartier placardés en grand sur les murs de la cité en 2004, puis il y a eu les émeutes. Cette génération a grandi, voici ce qu’elle est devenue.

Tout au long du documentaire, il y a un paradoxe constant entre la dénonciation du temps du ghetto et une nostalgie pour ces barres vétustes qui ont laissé place à des ensembles plus vivables...

Oui, je l’ai constamment entendu. On a du mal à y croire, c’est dingue. C’est la force de ce quartier : tout le monde y est très attaché.

Est-ce que votre lien avec cette cité – dont vous n’êtes pas issu, mais où vous revenez régulièrement alors que vous habitez à New York et que votre carrière est internationale –, vous a permis de garder contact avec une certaine réalité ?

Des Bosquets au Brésil ou au Kenya ou même avec Agnès Varda dans notre film Visages, Villages, j’ai toujours photographié des personnes anonymes. C’est mon ancrage, les codes que je me suis donné, comme de ne pas travailler avec des sponsors, des marques. Ces règles que je me suis imposées m’ont toujours permis de véhiculer des histoires librement. Les Bosquets sont plus qu’un fil rouge dans mon parcours, c’est ce qui a fait de moi un artiste. C’est là que j’ai réellement choisi mon positionnement, ma façon de travailler. Et à chaque fois que j’ai cru avoir terminé mon travail sur place, ça a continué. Et ça continuera peut-être : quand les Ateliers Médicis ouvriront, une nouvelle page se tournera encore pour ce quartier qui a été sous risque d’explosion. On n’aurait jamais imaginé qu’un tel projet s’implanterait là, et je suis curieux de voir ça.

Vous y sentez-vous plus utile qu’ailleurs ?

Je ne doute pas que mon travail peut avoir un impact, mais être utile n’est pas l’objectif premier. Simplement en tant qu’artiste, on se doit de rêver, d’être plus optimiste que d’autres. On se doit d’être utopiste, de croire en des choses simples pour contrer ce que renvoient les médias, ce que la télévision ressasse. On se doit de porter ces rêves à grande échelle. Le film sur Les Bosquets et la fresque ont permis une reconnexion avec la ville. Il y a eu des moments forts avec le maire de Montfermeil, Xavier Lemoine, le dialogue s’est rouvert. Cela a aussi permis une reconnexion avec un Etat qui n’avait jamais prêté attention à ses habitants. On n’imaginait pas que le président allait faire le déplacement pour l’inauguration de la fresque. François Hollande a déclaré qu’elle faisait désormais partie du patrimoine français. Des mots très simples, mais révolutionnaires pour les habitants. A Clichy-Montfermeil, les gens se sentent exclus, pas intégrés, mais c’est finalement un village français comme un autre.