« Les Champs de l’audiovisue  », de Patrice Blouin, Editions MF, collection « Inventions ». / Editions MF

A l’heure où les frontières entre cinéma, télévision et Internet deviennent ­infiniment poreuses, où toute une nébuleuse professionnelle – distributeurs de films, programmateurs de salles, ou de festivals, ­critiques… – navigue à vue pour ­redéfinir un territoire sur lequel elle avait jadis la main et qui ne cesse de se dérober sous ses pieds, voici un essai qui tombe à pic.

Professeur d’histoire des idées à la Villa Arson, à Nice, Patrice Blouin a longtemps écrit dans les colonnes d’Art press, des Cahiers du cinéma, des Inrockuptibles, où il a étendu son champ d’étude du ­cinéma au clip et à la télé-réalité.

Les Champs de l’audiovisuel ­s’appuie sur ces années de ­réflexion critique pour tenter, en prenant acte de l’éclatement ­esthétique induit par l’évolution de l’industrie des images en mouvement, de ­reconfigurer leur ­histoire en un corpus beaucoup plus vaste que celui de la seule histoire du cinéma.

La sphère audiovisuelle

Contrairement à ce qu’avait ­prophétisé le critique Serge Daney, le cinéma n’est pas mort. Mais il a dû composer, soutient Blouin, à mesure que ces nouveaux champs émergeaient, avec d’autres régimes d’images. Rendant hommage à Louis Skorecki, qui a vu dans le passage d’Hitchcock à la télévision le début de l’ère du « post-cinéma », l’auteur envisage le cinéma comme faisant partie d’une « sphère audiovisuelle » où essaimeraient, d’un médium à l’autre, au fil des époques, les motifs, les dispositifs esthétiques, les « champs de l’audiovisuel ».

Fort de ce postulat, il tire des fils audacieux entre la mise en scène du Fantômas de Feuillade et la mise en pages des blogs, entre Charlie Chaplin et Ricky Gervais, entre une comédie de Stanley ­Donen et un clip de ­Jonathan ­Glazer, entre Abbas Kiarostami et « Loft Story », élaborant, au gré de sa dérive, un nouveau mode de classification des images.

Qui en dernière instance a le pouvoir ?

Le raisonnement paraît parfois tiré par les cheveux tant il repose sur des exemples singuliers, mais certaines intuitions font mouche. C’est le cas notamment lorsqu’il réinscrit dans une perspective historique le phénomène très actuel de l’incursion des cinéastes dans l’univers des séries, avec les exemples d’Alfred Hitchcock Presents…du réalisateur Frank Borzage qui réalisa trois épisodes de The Screen Directors Playhouse. Quant à The Twilight Zone, Jacques Tourneur et Ida Lupino ont travaillé pour cette série à la fin de leur carrière alors que Richard Donner ou Don Siegel y ont fait leurs premiers pas de metteur en scène.

Comment appréhender ces ­épisodes réalisés par de grands ­metteurs en scène ? La réponse est pleine de bon sens : « Ces questions réclament que l’on pense résolument à la Hobbes. Soit ici : qui en dernière instance a le pouvoir ? Si en dernière instance celui qui a le ­pouvoir est le producteur/scénariste, alors nous sommes dans le champ du dramatique. »

« Si en dernière instance, c’est le metteur en scène, alors nous ­sommes dans le champ du cinéma. Et ce cinéma peut tout à fait être à ­épisodes », conclut-il

Les Champs de l’audiovisuel, de Patrice Blouin, Editions MF, collection « Inventions », 208 p., 16 €.