Des Rohingya arrivent au camp de réfugiés de Kutapalong au Bangladesh, le 20 octobre. / Dar Yasin / AP

Editorial du « Monde ». Jour après jour depuis huit semaines, le terrible exode des Rohingya de Birmanie se poursuit vers le Bangladesh. Depuis le 25 août, environ 600 000 d’entre eux ont quitté leurs villes, leurs villages et leurs terres, rejoignant les centaines de milliers de réfugiés qui ont déjà été contraints de fuir leur pays depuis trente ans.

Le mot « exode » n’est, dans le cas des Rohingya, pas suffisamment précis. Cette communauté musulmane de Birmanie ne fuit pas simplement la violence d’un conflit. Leur départ du pays est en l’occurrence l’objectif principal de l’opération militaire birmane actuellement en cours : il s’agit donc, selon le droit humanitaire international, d’une déportation. Par son ampleur et sa rapidité, c’est la plus importante opération de ce type depuis celle des Kosovars albanais organisée par l’armée serbe il y a près de vingt ans, en 1999.

Cette déportation des Rohingya, qui s’apparente à un nettoyage ethnique, puisque l’objectif est de faire disparaître cette communauté de la terre birmane, est, d’un point de vue juridique, un « crime contre l’humanité ». Amnesty International vient de le rappeler dans un rapport très documenté, publié le 18 octobre. Décrivant « une campagne systématique, planifiée et impitoyable », l’organisation internationale de défense des droits de l’homme a identifié au moins six crimes constitutifs de « crimes contre l’humanité » : « le meurtre, la déportation, la torture, le viol, la persécution, et d’autres actes inhumains tels que la privation de nourriture ».

Politique de terreur et de terre brûlée

Amnesty International n’est pas seule à qualifier les opérations militaires birmanes de « crimes contre l’humanité » : l’autre principale organisation internationale de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch, est parvenue à une conclusion identique. Et quatre-vingts autres ONG travaillant en Birmanie et au Bangladesh sont d’accord. Le gouvernement et les forces militaires de Birmanie violent ainsi, sous le regard de la communauté internationale, toutes les lois de la guerre.

L’armée birmane n’est malheureusement pas la seule armée au monde à ne pas respecter le droit humanitaire international et les conventions de Genève – les forces armées ne commettant aucun crime de guerre étant d’ailleurs plutôt rares. En revanche, l’absence de véritables condamnations et de sanctions est, dans le cas de la Birmanie, aussi criante que choquante.

Amnesty International, en appelant à passer « de la protestation à l’action », recommande plusieurs mesures urgentes : « Interrompre la coopération militaire, imposer un embargo sur les armes, et imposer des sanctions ciblées contre les responsables d’atteintes aux droits humains ».

Nul ne peut prédire quel sera l’avenir des Rohingya face à cette politique de terreur et de terre brûlée, ni s’ils reviendront un jour vivre chez eux. En revanche, la communauté internationale – que ce soit à travers le Conseil de sécurité de l’ONU ou unilatéralement pays par pays –, ne devrait pas laisser perpétrer ces crimes contre l’humanité sans réagir. Leur qualification est précisément destinée à signifier aux criminels que leurs actes ne heurtent pas qu’une communauté, mais l’humanité tout entière. Les criminels de guerre birmans, voire la Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, doivent savoir que leurs crimes portent un nom et que la justice pénale internationale pourrait un jour leur demander d’en répondre.