Le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi, le 19 septembre, au siège des Nations unies, à New York. / JEWEL SAMAD / AFP

Attendu lundi 23 octobre à Paris pour sa première visite en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le président égyptien, Abdelfattah Al-Sissi, vient de subir l’un de ses pires revers dans sa « guerre contre le terrorisme ». Une attaque non revendiquée d’un groupe djihadiste lourdement armé près de l’oasis de Bahreyia, à 135 km au sud-ouest du Caire, dans le désert occidental qui sépare l’Egypte de la Libye, a en effet causé le mort, vendredi, de 15 à 54 membres des forces de sécurité, selon les sources.

Comme souvent en Egypte, où il est devenu répréhensible de divulguer d’autres chiffres que ceux du ministère de l’intérieur, les bilans sont flous et contradictoires. Le bilan officiel publié samedi soir fait état de 16 policiers tués, 13 blessés et un disparu, ainsi que de 15 combattants islamistes tués ou blessés. Plus tôt dans la journée, des sources sécuritaire et médicale avaient annoncé à l’Agence France-Presse au moins 35 policiers tués. L’agence Associated Press avance un bilan de 54 policiers, dont 20 officiers (2 brigadiers généraux, un colonel and 10 lieutenants-colonels) et 34 conscrits, sur la base de sources sécuritaires anonymes. Selon elles, les forces de sécurité seraient tombées dans une embuscade et auraient souffert d’un manque, récurrent, de coordination entre l’armée et la police.

« Moments douloureux »

Malgré ses efforts, le gouvernement égyptien ne parvient pas à réduire l’insurrection djihadiste implantée dans le nord du Sinaï et qui essaime de plus en plus vers la vallée du Nil, où se multiplient les attaques contre la communauté copte (chrétiens), dont une centaine de membres ont été tués depuis un an. Le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, qui a noué un lien solide avec le président Sissi, a réitéré samedi le soutien de la France « à la stabilité de l’Egypte dans ces moments douloureux ».

La lutte contre le terrorisme figurera au menu du déjeuner de travail qu’auront Emmanuel Macron et Abdelfattah Al-Sissi mardi, ainsi que la situation en Libye. Le président égyptien est l’un soutiens les plus fermes du maréchal Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne et rival du premier ministre « d’entente nationale » libyen, Faïez Sarraj. La France, qui a parrainé la rencontre de La Celle-Saint-Cloud en juillet, travaille à un rapprochement entre les deux camps, sans lequel aucune stabilisation de la Libye, source majeure de déstabilisation au Sahel et en Méditerranée, tant dans le domaine du terrorisme djihadiste que des trafics migratoires, ne pourra survenir. L’aide de l’Egypte est donc indispensable dans ce domaine.

Le Caire, que les révolutions arabes ont marginalisé sur la scène diplomatique, cherche aussi à ­retrouver sa place en œuvrant d’arrache-pied à la réconciliation palestinienne entre le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, et l’Autorité palestinienne, dirigée par le Fatah de Mahmoud Abbas.

Parallèlement à ces questions régionales et à d’éventuels contrats d’armements – depuis 2015, l’Egypte a acheté pour plus de 6 milliards d’euros d’armes françaises, dont 24 avions Rafale, une frégate, deux porte-hélicoptères Mistral et des missiles –, l’Elysée a promis que serait abordée « la ­situation des droits de l’homme à laquelle la France est particulièrement attentive ».

L’Egypte du président Sissi, qui vient de prolonger pour trois mois l’état d’urgence déclaré en avril, est devenue en effet un « tombeau » des droits de l’homme : avec 60 000 arrestations ou inculpations depuis 2013 visant toute voix dissidente, des Frères musulmans aux mouvements de la gauche démocratique, en passant par les syndicalistes indépendants, militants associatifs, journalistes, aucun secteur de la société civile n’est épargné. Cinquante-sept homosexuels ont par ailleurs été ­arrêtés depuis fin septembre. ­Condamnations à mort (81 exécutions ont eu lieu depuis 2013 alors que 11 personnes sont encore en attente), exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées (1 700 depuis 2015) se multiplient, faisant de l’Egypte actuelle une réplique contemporaine du Chili de Pinochet. « Les forces de sécurité égyptiennes ont recours à la torture de façon systématique, selon une enquête publique du Comité des Nations unies contre la torture, qui s’est conclue en 2017 », souligne également Human Rights Watch (HRW), dans son communiqué.

« Les libertés fondamentales, d’expression, de réunion, d’association sont en passe de disparaître », s’alarme Katia Roux, d’Amnesty International, qui insiste sur le « renforcement alarmant de la répression depuis un an et demi ». La loi sur les ONG, promulguée par le président Sissi en mai, donne à l’Etat la possibilité de refuser l’enregistrement des associations, de les fermer, ou de faire annuler les programmes en contradiction avec les objectifs du gouvernement. La justice a convoqué, depuis, pour interrogatoire, 60 dirigeants associatifs.

Sites Internet bloqués

Sur la même période, 131 sites Internet, dont 48 d’information, ont été bloqués. Par ailleurs, 24 militants des droits de l’homme sont sous le coup d’une interdiction de voyager, dont ­Mohamed Zaree, qui n’a pas pu recevoir le prestigieux prix Martin-Ennals, le 10 octobre à Genève. Dans le message lu par sa femme, M. Zaree rappelle aux pays alliés de l’Egypte que « la sécurité et les droits de l’homme ne peuvent pas être séparés », ajoutant que ces pays doivent « s’assurer que les armes qu’ils lui vendent ne sont pas utilisées pour commettre des violations des droits de l’homme ». « Le président Macron ne devrait pas poursuivre la scandaleuse politique de tolérance de la France envers le gouvernement répressif d’Al-Sissi », déclare en écho Bénédicte Jeannerod, de HRW.