Le plagiat serait-il monnaie courant dans le stand-up français ? A découvrir les vidéos réalisées par la chaîne CopyComic sur la plate-forme vidéo YouTube, la question mérite d’être posée. Un certain « Ben », qui préfère rester anonyme et dit « travailler dans le monde du spectacle », secoue, depuis quelques jours, le secteur de l’humour. Tout commence mercredi 18 octobre avec la reprise, sur le site 20minutes.fr, de deux montages vidéo de CopyComic établissant un parallèle accablant entre des extraits du spectacle Stand up de Tomer Sisley, datant de 2006, et des sketchs d’une quinzaine d’humoristes américains, antérieurs au one-man-show du comédien français. La comparaison est redoutable : textes, gestuelles, tout est à la limite du copier-coller.

#CopyComic - Tomer Sisley Part A
Durée : 07:51

« Je suis fan d’humour et de comédie depuis longtemps. En découvrant, à l’époque, le spectacle de Tomer Sisley, j’avais le sentiment de connaître déjà certaines blagues », raconte « Ben ». Les années ont passé. Amené à apprendre le maniement d’un logiciel de montage, il est mis au défi par un de ses amis – avec lequel il évoquait régulièrement la question du plagiat – de prouver ce qu’il avance. « En me penchant avec attention sur la question j’en ai découvert davantage que ce que j’imaginais », assure « Ben ». Une fois réalisées ses deux premières vidéos de près de 8 minutes chacune, il crée un compte Twitter, envoie des notifications à une dizaine de médias et promet d’autres « révélations ».

#CopyComic - Tomer Sisley Part B
Durée : 07:53

C’est chose faite : deux nouvelles vidéos de 4 et 6 minutes, que Le Monde a pu se procurer, dévoilent à nouveau des similitudes troublantes parmi une flopée d’artistes. L’une de ces vidéos montre des « chapardages » dont la presse s’était déjà fait l’écho dans les années 2009-2011 : Gad Elmaleh copiant en 2005 le sketch de Jerry Seinfeld sur l’hôtesse de l’air, Jamel Debbouze reprenant en 2004 celui de Dave Chappelle sur le cambriolage. Mais on découvre aussi Arthur plagiant Robin Williams, Malik Bentalha reproduisant Jerry Seinfeld, Yacine Belhousse utilisant la même blague que David Brenner et Walter piochant dans les textes de Bill Hicks pour une chronique sur France Inter.

#CopyComic - Mix
Durée : 06:29

Quant à la seconde vidéo, elle étrille Paul Séré, un jeune humoriste du Jamel Comedy Club qui reprend allègrement des vannes de plusieurs stand-upeurs américains (Dan Cook, Chris Rock, etc.).

#CopyComic - Paul Séré
Durée : 04:19

L’affaire n’est pas nouvelle : par le passé, Roland Magdane avait été accusé de copier Bill Cosby et Michel Leeb de s’inspirer très largement de Dany Kay. « Je ne veux ni me faire connaître, ni gagner le moindre centime avec ces vidéos, mais valoriser les vrais créateurs, les artistes originaux », explique l’auteur des montages vidéos.

Le stand-up, cette forme de monologue comique, dans lequel l’humoriste s’adresse directement au public pour partager son observation du quotidien et raconter des épisodes de sa vie en multipliant les vannes, a été créé aux Etats-Unis bien avant que le genre ne s’exporte en France en début des années 2000 avec la création du Jamel Comedy Club. Nombreux sont les stand-upeurs français qui évoquent régulièrement leur admiration pour leurs homologues américains. Mais jamais ils ne concèdent que cet hommage se transforme parfois en copiage. Un océan et une langue les séparent, ce ne sera, croient certains, ni vu ni connu.

Kader Aoun, coauteur et metteur en scène de Tomer Sisley, créateur, à ses débuts, du Jamel Comedy Club, producteur et homme de l’ombre du stand-up en France, refuse de s’exprimer sur « la volonté malveillante d’un personnage anonyme. Il a posté plus d’une centaine de Tweet en quatre jours sur Tomer Sisley, c’est un déferlement ». Dans l’entourage du comédien, plus connu désormais au cinéma (Largo Winch), on fait valoir que les extraits retenus ne concernent que dix minutes d’un spectacle qui en compte 80. Pour seule réponse, la compagne de l’humoriste incriminé, Sandra de Matteis, a publié, dimanche 22 octobre sur son compte Instagram, une vidéo s’inspirant de celle de Chris Crocker. Le « Leave Britney alone ! » est transformé en « Leave Tomer alone » et Tomer Sisley dit calmement, hors caméra, : « Attend Sandra, ça aussi ça a déjà été fait ». Et sa compagne de conclure : « On peut plus rien faire quoi… »

Si les artistes et les sociétés de production sont peu diserts sur le sujet du plagiat, ceux dont le métier est de dénicher des nouveaux talents ne sont pas étonnés par ces pratiques. « Dans le milieu, cela se savait, assure Antoinette Colin, directrice artistique du Point Virgule à Paris. Mais aujourd’hui, tout est sur Internet, il faudrait être idiot pour continuer à copier ». Elle qui organise régulièrement des auditions d’humoristes en herbe a parfois le sentiment de repérer des ressemblances. « Au moindre doute, j’en parle lors du débriefing et cela m’a parfois valu des crispations ou des engueulades », témoigne-t-elle. Avec la multiplication du nombre de prétendants à l’humour, « même en France les comédiens deviennent obsédés par ce risque du plagiat et certains ne veulent plus faire de scènes ouvertes de peur de se faire piquer leurs vannes », constate-t-elle. « Depuis une quinzaine d’années, c’est un secret de Polichinelle, lâche le dénicheur d’humoristes Gérard Sibelle. Toutes les armes possibles sont utilisées pour devenir connu. S’inspirer des Américains est une chose, les plagier en est une autre. La photocopie fonctionne toujours et c’est désolant », poursuit-il

« Ce week-end, lors du Festival du rire de Liège, en Belgique, tout le monde parlait de cette affaire », constate Jean-Michel Joyeau, casteur depuis plus de dix ans au Jamel Comedy Club. Les professionnels relient ce risque du plagiat au manque cruel d’auteurs. « Les producteurs ont du mal à reconnaître officiellement les coauteurs et les humoristes concèdent difficilement de ne pas avoir écrit seul leur stand-up », constate Antoinette Colin. « Les auteurs, c’est ce qui manque le plus », complète Jean-Michel Joyeau. « Les thématiques abordées finissent par être toujours les mêmes, les idées manquent », regrette Gérard Sibelle.