Le sujet de l’aide au développement est de nouveau sur la table à l’occasion de la publication récente par AidData, un centre de recherche américain, d’un rapport qui fait le bilan de l’aide chinoise au développement dans le monde : sept pays africains sont parmi les dix premiers bénéficiaires de l’aide chinoise.

L’enjeu est de taille : comme le reconnaissaient les auteurs du rapport « Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui ? », publié il y a peu par l’Institut Montaigne, « l’aide est un levier important de la stratégie d’influence » des grandes puissances. Dès lors, étudier l’ampleur et les conséquences des flux d’aide d’un des principaux bailleurs de fonds, notamment en Afrique, est crucial pour ses concurrents occidentaux.

Que les grands pays usent de ce qu’ils appellent « l’aide au développement » à des fins d’influence est légitime. Que la plupart des dirigeants africains trouvent leur intérêt dans ce système cynique n’est malheureusement pas une surprise. En revanche, que les peuples africains soient si peu mobilisés sur la question des enjeux de l’aide est étonnant.

Les pauvres financent les riches

Les chiffres sont pourtant clairs. En 2016, Global Financial Integrity (GFI), un autre centre de recherche américain, a publié, en partenariat avec l’Ecole d’économie de Norvège, un rapport qui traçait l’ensemble des flux financiers, dans les deux sens, entre pays riches et pays pauvres (aide au développement, investissements directs étrangers, échanges commerciaux, remboursements de dette, transferts des migrants, fuite des capitaux).

En 2012, dernière année où les données étaient disponibles, les pays pauvres avaient reçu environ 1,3 billion de dollars (environ 980 milliards d’euros) des pays dits avancés. Mais la même année, 3,3 billions de dollars émanant des pays pauvres auraient pris la direction des pays riches. En clair, les pays pauvres, l’Afrique en tête, avaient financé les pays développés à hauteur de 2 billions de dollars !

Dans un article récent consacré au rapport entre l’aide étrangère et les inégalités dans le monde, l’économiste Jason Hickel rappelle opportunément que, depuis 1980, le montant cumulé des flux issus des pays pauvres vers les pays industrialisés s’élève à environ 16,3 billions de dollars, soit approximativement le PIB des Etats-Unis !

Dictateurs et « donateurs »

La source de ces flux est triple. Premièrement, le remboursement des dettes. Selon la Banque mondiale, les pays pauvres paient environ 200 milliards de dollars par an en seuls intérêts financiers à des pays développés – un montant de loin supérieur à celui de « l’aide au développement ». Le comble est qu’une partie de ces sommes concerne parfois des stocks de dettes contractées il y a des décennies par des dictateurs complaisamment soutenus par nos généreux « donateurs ».

Deuxièmement, le rapatriement de profits par les multinationales occidentales qui opèrent dans nos pays – une pratique, rappelle Jason Hickel, qui s’est accélérée dans le sillage de la libéralisation des flux de capitaux au début des années 1980. Ces multinationales rapatrieraient environ 500 milliards de dollars chaque année, somme qui excéderait jusqu’au montant des investissements directs étrangers reçus par nos pays.

Enfin, la fuite des capitaux. GFI estime que la seule falsification de factures commerciales, qui permet par exemple à des entreprises d’effectuer des transactions avec des filiales installées dans des paradis fiscaux, souvent via des sociétés intermédiaires, coûterait environ 700 milliards de dollars par an aux pays pauvres. Cette pratique frauduleuse aurait été encouragée par une mesure, décidée au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les années 1990, qui oblige les douaniers à considérer, lors de leurs contrôles, le montant facial des factures qui leur sont présentées.

Prédation des ressources

L’aide au développement a probablement contribué, ici et là, à alléger le fardeau de quelques pays africains ravagés par des conflits. Cela n’enlève rien à sa vocation politique initiale : « Je te donne, donc je te tiens. »

Mais l’aide est aussi un outil idéologique par lequel les pays industrialisés entretiennent subtilement l’idée, élaborée dans les années 1960 par l’économiste Walt Whitman Rostow, selon laquelle les pays africains sont responsables de la situation qui les accable. Sous cet angle, l’aide est un acte de générosité à l’endroit de pays qui n’ont pas été capables de s’aider eux-mêmes. Le but de la manœuvre est simple : détourner l’attention de la corruption du système commercial et financier qui organise – avec le concours actif d’élites locales indignes – le pillage légal de régions entières du monde.

L’Afrique n’a pas besoin d’aide. Un système économique et financier moins cynique lui suffirait. Mais la partie s’annonce difficile : depuis la fin du XVIe siècle, début de l’internationalisation des échanges et du contrôle du système commercial mondial par des intérêts capitalistes occidentaux, la logique à l’œuvre est celle de la prédation des ressources des pays du Sud – notamment.

En mai, GFI a publié un nouveau rapport sur les flux financiers illicites qui échappent aux pays pauvres, sur la période 2005-2014. Ceux-ci ont crû en moyenne entre 8,5 % et 10,1 % par an sur la décennie, et 87 % de ces flux étaient constitués des fameuses surfacturations frauduleuses. Jusqu’à quand les Africains accepteront-ils une telle saignée sous le couvert de « l’aide au développement » ?

Yann Gwet est un essayiste camerounais.