Documentaire sur Arte à 20 H 50

Le port de Gioia Tauro, en Italie. / Christian Gramstadt

Une belle région. La plus pauvre d’Italie, certes, mais belle. Avec ses huit cents kilomètres de littoral et ses montagnes majestueuses, la Calabre est au cœur d’une longue, solide et un brin déprimante enquête menée par le journaliste Sandro Mattioli que Christian Gramstadt et Patrizia Venditti, les réalisateurs, ont sui­vi au plus près. Du port de Gioia Tauro au petit village d’Africo Nuovo, de Crotone à Reggio di ­Calabria, de Catanzaro à San Luca, tous trois nous montrent toute une région victime de la ’Ndrangheta, la Mafia locale.

Pire encore : à travers le très lucratif businessdu trafic de déchets hautement toxiques venus de toute l’Europe du Nord et parfois de Russie, certains coins de Calabre et des fonds marins proches des côtes de la région sont empoisonnés. De nombreux cas de cancer, touchant aussi bien les enfants que les adultes, font exploser les statistiques dans certains villages où des déchets toxiques sont enfouis dans les vergers, les décharges vétustes, les carrières abandonnées. « Seuls ceux qui se taisent survivent », dit un dicton local. Pourtant, face à un tel danger, des magistrats, des journalistes, des habitants osent enquêter, accuser, crier leur rage face à ce nouveau fléau.

La « décharge de l’Europe »

Mais pourquoi cette vieille orga­nisation clanique qu’est la Ndrangheta s’occupe-t-elle de traitement de déchets toxiques ? « C’est un projet politique. Cela permet aux plus puissants des mafieux d’infiltrer les pouvoirs publics. De fait, ils ont acquis le statut d’industriels », indique un enquêteur.

Autrement dit, sans laisser tomber ses traditionnelles activités criminelles (du trafic d’armes à celui de la drogue, en passant par les extorsions de fonds), la Mafia locale a trouvé une nouvelle activité très lucrative, qu’elle peut mener à bien grâce, en partie, à l’hypocrisie des industriels du nord de l’Europe, qui veulent réduire le coût du traitement des déchets toxiques, au point de faire appel au crime organisé. Arsenic, phosphate, déchets métalliques radioactifs dans les sols. Matières encore plus toxiques (l’uranium enrichi) immergées à la suite de naufrages suspects, la réalité est très inquiétante.

Panneaux d’interdiction d’accès à Crotone en Calabre. / Christian Gramstadt

Les nombreuses archives utilisées dans ce documentaire permettent de comprendre comment fonctionne le système. Et comment les mafieux locaux s’entendent entre eux pour faire de la Calabre la décharge de l’Europe. A titre d’information, le chiffre d’affaires ­annuel des clans de la Mafia calabraise est estimé à plus de 50 milliards d’euros ! Outre la Calabre, la ’Ndrangheta est également très présente en Ligurie et dans certaines localités françaises de la Côte d’Azur. Sans oublier le port de Marseille, comme le rappelle fort à propos le documentaire.

Point névralgique de ce vaste trafic de déchets toxiques : le port calabrais de Gioia Tauro, qu’un témoin considère comme « la décharge du monde entier ». A lui seul, le port dégage près de 50 % du PIB de la région. Même si la police et les douanes tentent de ­contrôler les opérations de chargement et de déchargement des gigantesques conteneurs, ils ne peuvent maîtriser l’ensemble des activités, qui, compétitivité internationale oblige, doivent se faire le plus rapidement possible. Le port de Gioa Tauro écoule de 70 % à 80 % des déchets européens. Un témoin estime même que, si l’on pointait sur une carte les emplacements où se trouvent ces déchets en Calabre, le tourisme, la pêche et l’agriculture s’écrouleraient. En somme, toute l’économie de la région

Le Poison de la Mafia et la loi du silence, de Christian Gramstadt et Patrizia Venditti (All., 2017, 88 min).