Certains céréaliers, comme ici en Loir-et-Cher le 5 octobre 2017, essaient d’utiliserde moins en moins de glyphosate. / Cyril Chigot/Divergence pour Le monde

Journée forte en rebondissements mardi 24 octobre, à la veille du vote des Etats membres sur l’avenir du glyphosate. Elle s’est terminée par l’annonce surprise de la Commission européenne : celle-ci, soumise à de multiples pressions, a revu sa position à la baisse, passant d’une réhomologation de dix ans pour l’herbicide le plus vendu au monde à un renouvellement de « cinq à sept ans ». Bruxelles a ainsi fait un pas vers ce que devait être la probable position de la France lors de la discussion, mercredi. Cette dernière, à l’instar d’autres pays européens, menait en effet campagne contre le renouvellement pour dix ans.

Selon nos sources, la préférence française pourrait finalement se porter sur une nouvelle autorisation de mise sur le marché de trois ans assortie de mesures d’encadrement visant à restreindre progressivement l’usage du glyphosate. Même s’il est suivi par une majorité suffisante d’Etats, ce choix ne permettra pas, de toute façon, d’interdire brusquement l’herbicide – classé « cancérogène probable pour les humains » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

Dans les faits, à l’échelon européen, cette stratégie repousse simplement la décision de trois ans dans l’Union. Elle ne garantit pas une interdiction progressive de la substance « d’ici la fin du quinquennat » d’Emmanuel Macron, comme l’avait indiqué le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, le 25 septembre.

« Nous voulons que toute décision soit faite autour d’une majorité de nos Etats membres la plus grande possible », a expliqué le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, mardi, à Strasbourg. Si ce changement de braquet intervient à la veille de la réunion de représentants des Etats membres qui doit, à Bruxelles, examiner le cas du glyphosate, c’est que la Commission européenne s’est sentie contrainte de réagir après notamment un vote du Parlement européen intervenu mardi en milieu de journée.

« Il y a quelque chose qui est en train de basculer, on assiste à une prise de conscience », affirme Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique et solidaire

Réunis en séance plénière à Strasbourg, les eurodéputés ont adopté une résolution − certes sans valeur contraignante − demandant l’interdiction progressive de l’herbicide en cinq ans (par 355 voix pour, 204 contre et 111 abstentions). En d’autres termes, une sortie définitive (« phase-out »). De plus, les eurodéputés réclament l’interdiction du glyphosate dans les usages non professionnels et dans les espaces publics – ce qui est déjà le cas en France depuis le 1er janvier – dès le 15 décembre.

La pression de la société civile était, elle aussi, forte sur Bruxelles. Plus d’un million de personnes ont ainsi signé une pétition d’initiative citoyenne européenne pour soutenir l’interdiction du glyphosate, en demandant à l’Union européenne de bannir non seulement la substance à la base entre autres du Roundup de Monsanto, mais aussi de réformer le processus d’approbation des pesticides.

Côté français, on se réjouit de ce petit coup de théâtre. « Sans la position de la France, l’Etat le plus proactif contre les dix ans, la Commission n’aurait pas changé de position », fait-on valoir du côté du gouvernement. Et Nicolas Hulot affichait, mardi soir, sa satisfaction. « Il y a quelque chose qui est en train de basculer, on assiste à une prise de conscience sur les problèmes de santé, environnementaux, à commencer par les pesticides, a confié au Monde le ministre de la transition écologique et solidaire. Je ne dis pas qu’on a gagné, mais ce n’est clairement plus un sujet que l’on peut ajourner. »

Pourtant, des désaccords se sont exprimés jusqu’au dernier moment au sein même du gouvernement. Si Nicolas Hulot militait pour un renouvellement de l’autorisation réduit au minimum, trois ans maximum, son collègue de l’agriculture, Stéphane Travert, penchait pour une durée plus longue – cinq à sept ans –, afin de laisser aux agriculteurs la possibilité de développer des alternatives à l’emploi de cet herbicide. Tandis qu’Agnès Buzyn, leur homologue en charge de la santé, a déclaré sur CNews que, compte tenu de sa probable nocivité, « il est impératif de faire en sorte qu’il ne soit plus utilisé ».

Réfléchir à des alternatives

Le président de la République avait rappelé le cadre, lors de son discours de conclusion de la première phase des Etats généraux de l’alimentation, au marché international de Rungis, le 11 octobre. « Je vais vous le dire franchement, le bon débat n’est pas de savoir s’il faut sortir du glyphosate dans dix ans ou dans cinq ans, c’est comme si je vous disais que politiquement on sait régler la rapidité et la réalité de nos innovations technologiques, avait-il exposé à cette occasion. Je pense que le bon débat, c’est d’abord de dire qu’au niveau européen reporter à dix ans la problématique du glyphosate n’est pas une bonne idée parce que c’est prendre une responsabilité face à l’Histoire. »

Le dossier du glyphosate est devenu politiquement explosif. Tandis que l’opinion publique se montre de plus en plus sensible aux dangers des pesticides pour sa santé, la FNSEA défend, quant à elle, farouchement le glyphosate – un produit efficace et peu cher –, au nom de la lutte contre la distorsion de concurrence avec d’autres pays producteurs.

Le 22 septembre, elle envoyait environ 250 agriculteurs français manifester sur les Champs-Elysées sur ce mot d’ordre. A l’Assemblée nationale, le 18 octobre, les députés français ont décidé, de leur côté, de créer une mission d’information sur les produits phytosanitaires.

Cependant, le ministre de l’agriculture lui-même doit commencer à réfléchir à l’après-glyphosate. Une lettre de mission est partie de son ministère, lundi, demandant à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de travailler à des alternatives à la substance tant décriée. A moins d’avoir recours à des techniques de désherbage mécaniques, il n’existe pas, pour l’heure, de produit de substitution.

De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a reçu pour mission de mener de nouvelles études sur les effets sanitaires du glyphosate.

En quoi le glyphosate pose-t-il problème ?
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