Ilmi Oumerov, l’un des deux opposants tatars libéré mercredi 25 octobre, lors d’une interview à l’agence Associated Press à Simferopol, en Crimée, en janvier 2016. / Sergei Grits / AP

La Russie a libéré, mercredi 25 octobre, deux importants représentants de la communauté des Tatars de Crimée, condamnés à des peines de prison par la justice russe pour s’être opposés à l’annexion de la péninsule ukrainienne par Moscou. Akhmet Tchiïgoz et Ilmi Oumerov ont été envoyés vers la Turquie, « leur avion a probablement déjà atterri à Ankara », a indiqué Maïe Oumerova, la femme de M. Oumerov, à l’Agence France-Presse, confirmant des propos de leurs avocats sur les réseaux sociaux.

Les deux hommes étaient des représentants du Medjlis, assemblée de cette communauté musulmane majoritairement opposée à l’annexion, en mars 2014, de la Crimée à l’issue d’un référendum jugé illégal par Kiev et les Occidentaux.

« Apologie du séparatisme »

Akhmet Tchiïgoz, ancien vice-président du Medjlis, avait été arrêté en janvier 2015 et condamné au mois de septembre 2017 à une peine de huit ans de prison pour avoir organisé, en février 2014, quelques semaines avant l’annexion de la péninsule, une manifestation devant le Parlement de Crimée, à Simféropol. Des affrontements entre partisans de Kiev et de Moscou avaient alors fait deux morts et et une vingtaine de blessés.

Ilmi Oumerov, actuel vice-président du Medjlis, avait lui été condamné quelques semaines plus tard à deux ans de prison pour « apologie du séparatisme » après avoir été arrêté en mai 2016 à la suite d’une intervention en mars de la même année à l’antenne de la chaîne de télévision tatare ATR. M. Oumerov avait indiqué sur ATR, qui diffuse depuis Kiev après sa fermeture par les autorités russes, estimer que la Crimée appartenait à l’Ukraine et qu’il « faut forcer la Russie à quitter la péninsule ».

Souffrant de diabète, de la maladie de Parkinson et récemment victime d’une hémorragie cérébrale, selon son avocat Mark Feïguine, M. Oumerov restait toutefois en liberté dans l’attente de l’examen de son appel par la Cour suprême de Crimée, et se trouvait à l’hôpital encore peu avant son envoi vers la Turquie.

En 2016, M. Oumerov avait déjà été interné de force pendant trois semaines en hôpital psychiatrique. Il avait finalement été libéré, les médecins ayant reconnu qu’il n’avait aucun problème de santé mentale.

Rencontre entre les présidents turc, russe et ukrainien

« Ce que nous avons tant attendu est arrivé. Deux nouveaux prisonniers politiques ukrainiens ont retrouvé la liberté », a déclaré sur Facebook Nikolaï Polozov, l’avocat d’Akhmet Tchiïgoz. « Il s’agit du juste résultat d’efforts titanesques et d’un travail juridique, politique et diplomatique réussi », a-t-il ajouté.

Le président de l’assemblée des Tatars de Crimée, Refat Tchoubarov, a de son côté salué, depuis Kiev, « le rôle du président ukrainien Petro Porochenko, du président turc Recep Tayyip Erdogan et de la chancelière allemande Angela Merkel ». Il s’agit, selon lui, du résultat de « deux semaines de travail actif » et de pourparlers récents entre M. Poutine et M. Erdogan.

La libération d’Ilmi Oumerov et Akhmet Tchiïgoz intervient peu de temps après les rencontres entre du président turc Recep Tayyip Erdogan avec Vladimir Poutine, d’une part, et avec le chef de l’Etat ukrainien, Petro Porochenko, d’autre part.

Une libération demandée par le Parlement européen

Des organismes internationaux demandaient depuis plusieurs mois la libération des deux prisonniers. L’ONG Amnesty International avait qualifié leurs procès de « farce », s’inscrivant selon elle dans « une série de procès politiquement motivés, d’arrestations arbitraires et d’intimidations envers les personnes critiques des autorités russes en Crimée ».

Le Parlement européen avait réclamé leur libération, à travers une résolution adoptée en mars. L’institution avait aussi demandé l’annulation de la condamnation du journaliste Nicolaï Semena, reconnu coupable en septembre par un tribunal de Crimée d’« apologie du séparatisme » et condamné à une peine de deux ans et demi de prison avec sursis.

Les Tatars de Crimée subissent une forte pression de la part des autorités russes. La justice russe a notamment interdit et qualifié d’« organisation terroriste » le Medjlis, et fermé la chaîne de télévision de cette communauté.

L’ONU a estimé fin septembre que la situation des droits de l’homme s’est « significativement détériorée » en Crimée, accusant les autorités russes de « multiples et graves violations » commises en toute impunité.