Un iguane de Mona, un vertébré insulaire très menacé. / Island Conservation/Tommy Hall

Les îles sont à la fois des havres de biodiversité, mais également des espaces des plus fragiles. Selon les résultats d’une étude publiée mercredi 25 octobre dans la revue Science advances, 41 % des espèces de vertébrés terrestres les plus menacés évoluent en milieu insulaire. Or, selon l’équipe de chercheurs internationaux, sur ces territoires isolés, une lutte efficace contre les espèces invasives, premier moteur des extinctions d’animaux, pourrait en protéger la grande majorité (95 %).

Pour arriver à cette conclusion surprenante, les scientifiques ont passé en revue, pendant six ans, plus de 1 000 ensembles de données, de publications et de rapports contemporains, mais aussi historiques et ont fait intervenir près de 500 experts du monde entier. Ils en ont tiré une base de données inédite sur la biodiversité menacée des îles, ainsi qu’une carte interactive de la répartition géographique à la fois des vertébrés menacés mais également de ceux qui les mettent sous pression : les populations humaines et les espèces envahissantes, comme les rats ou les chats.

« Epicentres du déclin de la biodiversité »

Résultat : les chercheurs ont identifié 1 189 espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens en danger et en danger critique d’extinction selon les critères de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui se reproduisent sur 1 288 îles, essentiellement en Océanie. Si ces animaux ne représentent que 5 % de tous les vertébrés terrestres, ils rassemblent en revanche 41 % de ceux considérés comme les plus menacés.

Comment expliquer cette disproportion ? « Les îles s’avèrent des épicentres du déclin de la biodiversité », explique Dena Spatz, première auteure de l’étude, qui a réalisé ce travail lorsqu’elle était biologiste de la conservation à l’université de Californie à Santa Cruz, avant de rejoindre l’ONG Island Conservation. « En étant isolées, elles abritent des espèces uniques et adaptées à un écosystème particulier, avec des tailles de populations limitées, des taux de reproduction faibles et un manque de défense et de vigilance contre les prédateurs », poursuit-elle. Ces confettis de territoires, qui représentent à peine plus de 5 % des terres du monde, ont ainsi enregistré 61 % des extinctions connues depuis l’an 1 500.

Un albatros des Antipodes, vertébré insulaire menacé. / Island Conservation//Eleanor Briccetti

Par exemple, l’oiseau moqueur de Floreana aux Galapagos (Equateur) a disparu de son île éponyme au XIXe siècle, quelques décennies seulement après que la colonisation humaine eut introduit des rongeurs et des chats sauvages. Ce destin funeste fut aussi celui du dodo, gros oiseau au bec crochu, qui disparut de l’île Maurice au XVIe siècle après l’arrivée des humains et d’espèces invasives. Or, ces extinctions entraînent des conséquences pour l’ensemble des écosystèmes. A Hawaï, la disparition d’un petit oiseau, les drépanidinés, a perturbé la pollinisation de plantes endémiques, elles-mêmes maintenant proches de l’extinction.

Parmi les 1 288 îles accueillant des vertébrés menacés, 1 030 abritent également des espèces invasives. La majorité sont des rats (présents dans 78 % des territoires insulaires), suivis par des chats et des chiens, qui sont des carnivores, ainsi que des ongulés (porcs, vaches et chèvres), qui peuvent affecter indirectement les vertébrés indigènes en piétinant, en creusant et en consommant leur nourriture et leur habitat.

Plusieurs solutions avancées

Les chercheurs avancent plusieurs solutions face à cet enjeu de conservation. Tout d’abord, « mettre en œuvre des mesures de sécurité pour empêcher les espèces invasives d’arriver et de devenir une menace », avance Dena Spatz. Il s’agit d’éviter d’en introduire volontairement, par de l’information et des contrôles, et involontairement, en inspectant les eaux de ballast des bateaux, les matériaux de construction, les engins de chantier, etc.

Lorsque ces envahisseurs sont déjà présents, l’enjeu réside dans l’éradication ou le contrôle (par des confinements, des barrières). Une technique qui a bénéficié à plus de 200 espèces de vertébrés dans le monde. Sur l’île d’Anacapa, au large de Los Angeles, par exemple, l’élimination réussie de rats invasifs en 2002 a permis le retour de trois oiseaux indigènes, le Guillemot de Scripps, l’Océanite cendré et le Starique de Cassin.

« Cette base de données doit nous permettre de déterminer sur quelles îles éviter, contrôler ou éradiquer prioritairement les espèces envahissantes de manière à apporter la plus grande contribution à la conservation de la biodiversité mondiale », explique Stuart Butchart, coauteur de l’étude et scientifique en chef de l’ONG de protection de la nature BirdLife International. Et Dena Spatz de conclure : « L’opportunité d’éviter des extinctions d’espèces est maintenant à portée de main. »