Somnyama IV, Oslo, 2015. / Zanele Muholi Courtesy of Stevenson, Cape Town/Johannesburg and Yancey Richardson, New York

Parfois, elle regarde son propre objectif comme si elle voulait en traverser les parois. Il arrive aussi que le regard laser de Zanele Muholi s’en aille, monte vers le ciel. Toujours, quelque chose de dur, d’intense, se mêle à beaucoup de grâce. Les mises en scène, le pigment noir sur son visage, renforcent encore l’effet. Rien, jamais, ne semble échapper à ces yeux qui rappellent ceux de certains soldats. Mais autour de ce regard, il y a un dispositif qui joue des clichés, pour mieux les broyer. Dans chacun des autoportraits de la série « Somnyama ngonyama » (en zoulou « louée soit la lionne noire »), l’humour perce sous la violence, et inversement. À la fin de son projet, elle comptera 365 images d’elle. Comme les 365 jours de l’année pendant lesquels une femme noire, lesbienne, doit vivre dans cette identité. Zanele Muholi ne force le trait que parce qu’elle doit être vue, entendue. Elle a un message, elle dit aussi une « mission ».

La séduction, le sexe, l’intimité

Elle dit encore : « La photographie, pour moi, ce n’est pas un luxe, mais de l’activisme visuel. » Dès le début, lorsqu’elle a commencé à prendre ses premières photos, Zanele Muholi avait une idée nette en tête : se battre pour le droit d’exister, de vivre, de la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersex) d’Afrique du Sud, l’extirper de son invisibilité, la placer dans la lumière. Zanele Muholi était une jeune coiffeuse qui voulait être photographe. En 2002, elle sortait diplômée du Market Photo Workshop de David Goldblatt, à Johannesburg, ouvert à tous les talents. Deux ans plus tard, on l’exposait dans une galerie de la ville. Elle osait montrer l’amour, la tendresse, la séduction, le sexe, la toilette, l’intimité, parmi les lesbiennes noires du pays. Une ministre, invitée à un des vernissages en 2010, était partie en hurlant à « l’immoralité ». En 2012, un étrange cambrioleur avait volé la totalité de ses archives, chez elle, au Cap, ne touchant à rien d’autre.

« Phila I », Parktown, 2016. / Zanele Muholi Courtesy of Stevenson, Cape Town/Johannesburg and Yancey Richardson, New York

« On persiste, on résiste » est une autre de ses formules. Elle a été activiste avant d’être photographe. Activiste, pour la défense des lesbiennes d’Afrique du Sud, un pays où la Constitution stipule que nul ne saurait être persécuté pour ses orientations sexuelles et où le mariage gay est devenu monnaie courante depuis 2006. Mais aussi un pays où il est possible de se faire tuer, violer, violenter, parce qu’on est homosexuel (le). Il n’existe pas de statistiques sur les « viols correctifs », cette méthode consistant à violer une femme dans l’idée inepte que la souffrance la fera « revenir » à l’hétérosexualité. Il existe aussi des viols « correctifs » de garçons, des séances de torture qui, parfois, se terminent par la mort. Corps dévastés, abîmés, abandonnés. L’activisme, dans ces conditions, n’est pas une activité de luxe, en effet, et pourrait remplir une existence de photographe.

Gigantesque « pride »

La photographie de Zanele Muholi est comme une gigantesque pride à elle toute seule. La voici engagée dans le projet « Somnyama ngonyama ». L’idée en avait germé un soir, à New York, alors qu’elle n’avait qu’une hâte, aller se coucher, et qu’elle attendait sa clé à la réception d’un hôtel, où un festival lui avait réservé une chambre. La chambre était payée, son nom était dans l’ordinateur, mais à cette réception, on lui faisait toutes sortes de difficultés. Cela n’en finissait pas. Une femme noire, tout à coup, devenait suspecte de quelque chose. Le lendemain, elle improvisait un premier portrait dans cette chambre, avec de la bourre sur la tête. Signe de confusion, de désarroi. Et, déjà, elle reprenait le dessus, comme chaque jour. 365 fois par an.

Zanele Muholi, queer vaillant

Zanele Muholi sera exposée à Paris Photo, du 9 au 12 novembre, par Stevenson Gallery (Le Cap/Johannesburg) et Yancey Richardson (New York), et à la galerie Yancey Richardson, à New York, du 2 novembre au 9 décembre.