Emmanuel Macron en visite à Maripasoula (Guyane), jeudi 26 octobre. / POOL / REUTERS

Une chemise blanche immaculée et un sourire radieux. A peine arrivé à l’aéroport Félix-Eboué de Cayenne, jeudi 26 octobre, Emmanuel Macron a sauté dans un hélicoptère pour se rendre à Maripasoula, à la frontière fluviale avec le Surinam, au cœur de la forêt amazonienne. Accueilli au son des flutes sous une chaleur écrasante, le chef de l’Etat a déambulé dans les rues en terre battue de la plus vaste commune de France (avec ses quelques 18 000 km2), mais aussi l’une des plus déshéritées.

Comme un roi thaumaturge, il a ponctué son lent cheminement par des haltes au contact des habitants, s’arrêtant pour caresser les joues et les cheveux des enfants, pour les serrer contre son cœur ou pour faire d’innombrables selfies, sous le regard du préfet en grande tenue blanche et des chefs coutumiers, torse nu et coiffés de plumes. « Bienvenue M. le président, nous sommes dans une situation déplorable », « Nous sommes en souffrance », lit-on sur des pancartes brandies au passage de l’imposante délégation officielle.

« Je ne ménage pas mes efforts pour aller au contact »

Emmanuel Macron, qui cultive un sens aigu de la mise en scène, à l’instar de l’ex-président américain Barack Obama, s’est affiché en président protecteur et à l’écoute, proche des Français. Soucieux de casser l’image d’arrogance qui commence à s’installer dans l’opinion, si l’on en croit les sondages. Le chef de l’Etat a ainsi accepté de dialoguer avec l’habitant d’une maison délabrée dont la façade avait été recouverte de palissades par la municipalité, désireuse d’embellir le quartier où le président devait prononcer un discours.

« Amenez-moi le propriétaire ! », a donc lancé M. Macron à un journaliste du Kotidien, qui lui faisait remarquer que ledit propriétaire était « vexé ». « Comme vous l’avez vu, je ne ménage pas mes efforts pour convaincre, aller au contact », a commenté le chef de l’Etat, qui veut faire du dialogue avec les Français, y compris les plus mécontents, une marque de fabrique. « Il a vraiment pris son temps, s’est arrêté à chaque instant. On a vraiment traîné », insiste le député LRM Lenaïck Adam.

Cette première journée d’un déplacement de quarante-huit heures en Guyane a également été l’occasion pour M. Macron d’étrenner une autre caractéristique de la présidence qu’il entend dessiner depuis son arrivée à l’Elysée : le parler vrai. « Je l’ai déjà dit quand j’étais en campagne, je ne vais pas changer, a-t-il lancé. Je ne suis pas le père Noël, parce que les Guyanais ne sont pas des enfants. Je ne suis pas venu faire de grandes promesses en l’air. (…) Je suis là pour dire les choses en vérité. »

« Je ne vais pas vous mentir »

Le chef de l’Etat a plaidé pour réinventer une « nouvelle relation » entre la Guyane et la métropole, faite « d’engagements réciproques ». Il a assuré que, sur les 3 milliards évoqués dans les accords de Guyane du printemps 2017 (un plan d’urgence de 1,08 milliard et des demandes complémentaires de 2,1 milliards d’euros), plus d’un milliard serait effectif. D’autres projets « réalistes » pourront être financés, sous la houlette du préfet.

Pour Maripasoula, M. Macron a notamment annoncé des crédits pour un lycée et un stade de foot. Mais assumé le fait qu’il n’y aurait ni route (Cayenne-Maripasoula) ni hôpital. « Je ne vais pas vous mentir », a-t-il répété, assurant qu’il refusait de faire de la « démagogie ». « Les engagements pris seront tenus. Pas plus, pas moins », a-t-il résumé.

Pas de quoi circonscrire la colère du collectif Pou Lagwiyann dékolé (« Pour que la Guyane décolle », en créole) qui manifestait au même moment dans les rues de Cayenne. Porteur du mouvement social qui avait paralysé la Guyane au printemps, le collectif plaide pour des « conditions de vie égales à l’Hexagone » et réclame le respect des accords d’avril.

Il demandait aussi à être reçu par Emmanuel Macron, qui a fait savoir au dernier moment qu’il était prêt pour une rencontre, le lendemain. Lui qui espérait ménager un effet de surprise, soignant du même coup son profil de président n’ayant pas peur d’aller au contact (même rugueux), il s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la part de Pou Lagwiyann dékolé, qui exigeait de le voir dès jeudi soir. « Macron n’a pas conscience de ce qui se passe en Guyane, déplore le porte-parole du collectif, Davy Rimane. Il se rend dans la ville la plus enclavée de Guyane en hélicoptère ! A quel moment va-t-il comprendre notre quotidien ? »

« Le peuple est excédé »

Commencé dans le calme, avec des slogans criés (« Fier d’être guyanais ! », « Collectif déterminé »), des chansons et des drapeaux guyanais, agités dans la moiteur de Cayenne, la manifestation a dégénéré à la nuit tombée, aux portes de la préfecture. Déterminés à en découdre, plusieurs dizaines de manifestants, excités et déçus de ne pas rencontrer M. Macron – en train de dîner au même moment à la résidence du préfet, après avoir reçu une délégation de maires guyanais –, ont tenté d’enfoncer les barrières qui protégeaient le bâtiment officiel, contraignant les CRS à répliquer à coups de gaz lacrymogènes.

« On essaie d’appeler au calme, mais c’est compliqué, reconnaît M. Rimane. Le peuple est excédé et le président Macron lui répond par le mépris, par des gaz lacrymo ! » Des violences et des échauffourées se sont poursuivies une grande partie de la nuit, à quelques heures des annonces présidentielles en faveur de la lutte contre l’insécurité, l’immigration illégale et l’orpaillage clandestin. Maniaque du contrôle, Macron se serait bien passé de ces débordements, qui viennent écorner les images soignées de Maripasoula, montrant un président empathique et à l’écoute des Français qui souffrent. Mais, comme le répétait son prédécesseur à l’Elysée, rien ne se passe jamais comme prévu.