La manifestation a commencé avec des banderoles (« Kolektif déterminé »), des T-shirts noirs (« Fier. e d’être guyanais »), des slogans (« Macron, venez boire de l’eau », en référence à une note sanitaire envoyée par l’Elysée à la presse et qui recommandait de ne pas boire l’eau du robinet, suscitant la colère du collectif), des chansons et des drapeaux guyanais, tranchés de vert et de jaune, frappés d’une étoile rouge. Jeudi 26 octobre, un millier de Guyanais, notamment représentés par le collectif Pou Lagwiyann dékolé (Pour que la Guyane décolle), ont défilé dans les rues de Cayenne, jusqu’à la préfecture, alors qu’Emmanuel Macron débutait une visite de 48 heures dans la région.

Porteur du mouvement social qui avait paralysée la Guyane au printemps, le collectif plaide pour des « conditions de vie égales à l’Hexagone » et réclame le respect des accords signés en avril avec le gouvernement, soit un plan d’urgence de 1,08 milliard d’euros et la prise en compte par l’exécutif d’une demande de 2,1 milliards d’euros de mesures supplémentaires. Le collectif demande également, depuis plusieurs jours, à être reçu par le chef de l’Etat.

Dans le cortège, le porte-parole du collectif, Davy Rimane, explique que « Macron n’a pas conscience de ce qui se passe en Guyane ». Au même moment, le chef de l’Etat, chemise blanche immaculée et sourire radieux, rencontre les élus et les habitants de Maripasoula, à la frontière fluviale avec le Suriname, au cœur de la forêt amazonienne.

En arrivant dans la plus vaste commune de France mais aussi la plus déshéritée, M. Macron a précisé qu’il n’était « pas le père Noël ». « L’Etat a fait trop de promesses qui n’ont pas été tenues. Donc je suis là pour (…) prendre des engagements que je saurai tenir durant mon quinquennat, et aussi assurer les éléments d’autorité indispensables sur ce territoire », a-t-il indiqué en précisant qu’il annoncerait des « mesures fortes » sur la lutte contre l’immigration et contre l’orpaillage clandestin vendredi 27 octobre, lors d’une conférence de presse à Cayenne.

Colère et amertume

Au cours de la journée, l’Elysée a également fait savoir que M. Macron était prêt à recevoir le collectif Pou Lagwiyann dékolé vendredi matin mais ce dernier a refusé, exigeant d’être reçu immédiatement par le président. Dans le cortège des manifestants, la colère se mêle à l’amertume. « On aimerait bien que la Guyane sorte la tête de l’eau, pour nos enfants ! », explique Cynthia, infirmière et mère de famille, qui énumère les handicaps dont souffre son « pays » : insécurité, immigration clandestine massive venant du Brésil, du Suriname ou d’Haïti, fort taux de chômage (23 %), enclavement, services de santé défaillants, système scolaire inadapté.

Le cortège s’arrête devant la préfecture à la nuit tombée. La plupart des manifestants se dispersent mais plusieurs dizaines d’entre eux, plus excités, restent accrochés aux grilles du bâtiment officiel, derrière lesquelles sont postés une ribambelle de CRS casqués.

Un représentant de la préfecture répète dans un porte-voix l’invitation de M. Macron – qui participait dans la soirée à un dîner républicain, après avoir reçu les maires de Guyane – à venir le rencontrer le lendemain. Mais les derniers manifestants, chauffés à blancs et recherchant manifestement l’affrontement, refusent. Avant de tenter de soulever les barrières qui protègent la préfecture, appelant une réaction immédiate des CRS, qui dispersent la petite foule à coups de grenades lacrymogènes.

« Le président Macron répond par le mépris »

« On demande à voir le président et on se fait gazer », s’insurge une manifestante, les yeux rougis par le gaz. « C’est de lâcheté, point barre, je n’ai pas d’autres mots », renchérit une autre, un drapeau guyanais dans ses mains, qui dit qu’il y avait « des femmes, des personnes âgées et des enfants » devant la préfecture. « Une population désarmée », ajoute-t-elle, ulcérée.

Florence Adjodha, du collectif des Iguanes de l’Ouest, membre de Pou La Gwiyann dékolé, explique que ces tensions et ces échauffourées « ne viennent pas de nulle part » : « Les Guyanais sont à bout. Ils ont bloqué le pays pendant deux mois, ont signé des accords avec le gouvernement mais six mois plus tard, les raisons qui les ont conduit à manifester au printemps n’ont pas varié. On en est toujours au même point ! »

« On essaye d’appeler au calme mais c’est compliqué, reconnaît M. Rimane. Le peuple est excédé et le président Macron lui répond par le mépris, par des gaz lacrymo ! »

Eloignés de la préfecture par la police, les manifestants les plus radicaux se sont ensuite repliés dans les rues adjacentes, causant encore plusieurs échauffourées avec les forces de l’ordre. A 23 heures, heure locale, des hélicoptères tournaient encore dans la nuit étouffante de Cayenne.