LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, on peut voir une enquête sur le très lucratif business du trafic de déchets hautement toxiques en Calabre ; un documentaire sur la difficulté d’être un parent adoptif ; un film sur les concerts inouïs du groupe de métal allemand Rammstein et un documentaire sur le littoral ravagé du Sud de la Louisiane.

La Calabre empoisonnée

Avec ses 800 kilomètres de littoral et ses montagnes majestueuses, la Calabre est au cœur d’une longue, solide et un brin déprimante enquête menée par le journaliste Sandro Mattioli, que Christian Gramstadt et Patrizia Venditti, les réalisateurs, ont sui­vi au plus près. Du port de Gioia Tauro au petit village d’Africo Nuovo, de Crotone à Reggio de ­Calabre, de Catanzaro à San Luca, ils nous montrent une région victime de la ’Ndrangheta, la mafia locale.

Pire encore : à travers le très lucratif business du trafic de déchets hautement toxiques venus de toute l’Europe du Nord et parfois de Russie, certains coins de Calabre et des fonds marins proches des côtes sont empoisonnés. De multiple cas de cancer font exploser les statistiques dans certains villages où des déchets toxiques sont enfouis. Les nombreuses archives permettent de comprendre comment fonctionne le système. Et de quelle manière les mafieux locaux s’entendent entre eux pour faire de la Calabre la décharge de l’Europe.

Point névralgique de ce vaste trafic de déchets toxiques : le port de Gioia Tauro. A lui seul, il dégage près de 50 % du PIB de la région. Un témoin estime que, si l’on pointait sur une carte les emplacements où se trouvent ces déchets, le tourisme, la pêche et l’agriculture s’écrouleraient. En somme, toute l’économie de la région. Alain Constant

Le Poison de la Mafia et la loi du silence, de Christian Gramstadt et Patrizia Venditti (All., 2017, 88 min). Sur Arte + 7.

Adoption : parents et enfants en souffrance

[TEASER] Adoption, je t'aime... moi non plus
Durée : 02:00

La difficulté d’être parent, ou celle d’aimer son enfant, a mis du temps avant de pouvoir s’exprimer. Pour les parents adoptifs, cependant, la confidence demeure ­taboue. Parce que ces pères et ces mères qui ont été soumis à une évaluation psychosociale avant de recevoir un agrément – le feu vert à l’adoption – ont été en quelque sorte estampillés solides et « aptes ».

C’est en cela que le documentaire de Stéphanie Malphettes bouleverse, par la parole qu’il libère, empreinte encore de culpabilité mais franche, émouvante et dure. L’adoption est, comme le précise en préambule la voix off, « une histoire délicate que chacun entame avec ses bleus à l’âme ». Du côté des parents, il n’est pas aisé de se confronter à un enfant dont la vie a commencé par l’abandon. Avec ce que cela charrie de douleurs enfouies qui peuvent se manifester par des crises de ­désespoir, de colère ou du rejet.

Pour les enfants aussi il s’agit d’adopter, et de tenter d’aimer ceux qui ont, certes, tendu la main mais aussi, arraché à d’autres liens, fussent-ils ceux de l’orphelinat, à des racines et à une histoire passée. « En grandissant, on nous dit que nos parents ne sont pas les vrais. C’est donc bien qu’on est dans un mensonge : on veut qu’on soit dans ces deux vies, alors qu’on n’en a qu’une », souligne Barbara qui, aujourd’hui, n’envisage pas que ses parents soient autres que ses parents adoptifs. Comme tous ceux qui témoignent dans ce documentaire. Véronique Cauhapé

Adoption, je t’aime… moi non plus, de Stéphanie Malphettes (Fr., 2017, 70 min). Sur Pluzz.

« Rammstein : Paris », de metal et de feu

Rammstein: Paris - Official Trailer #1
Durée : 00:11

Les concerts filmés ne donnent généralement pas matière à de grands moments de télévision. Raison de plus pour ne pas rater ce documentaire inédit filmé en mars 2012 par le Suédois Jonas Akerlund dans les entrailles de ­Paris-Bercy, à l’occasion du concert des Berlinois de Rammstein. Le réalisateur, qui a notamment travaillé avec Madonna, U2, Pink, Metallica ou Lady Gaga, s’est taillé une jolie réputation en multipliant les trouvailles techniques et en transformant un simple clip musical en spectacle total.

La rencontre du quinquagénaire suédois avec Rammstein, groupe de metal allemand aux 20 millions d’albums vendus et qui, depuis une vingtaine d’années, offre des concerts inouïs, avait de quoi intriguer. Et de fait, même installé dans son canapé, on sort de ce spectacle télévisé presque aussi épuisé que si l’on avait été dans la fosse, au milieu de la foule en tran­se.

La musique de Rammstein y est évidemment pour beaucoup, à la fois puissante et mélodique, truffée de tubes. L’énergie, la qualité et la rigueur rythmiques des musiciens aussi. A cela s’ajoute l’œil expert d’Akerlund, qui transforme chaque chanson en un moment d’intense émotion. Alternant images en noir et blanc et couleur, filmant certains mouvements sous plusieurs angles, adoptant un montage nerveux, Jonas Akerlund s’empare du concert pour en faire un show exceptionnel. Alain Constant

Rammstein : Paris, de Jonas Akerlund (All., 2017, 100 min). Sur Arte + 7.

« Les Naufragés de l’île de Jean-Charles »

bande annonce Les naufragés de l'île Jean-Charles
Durée : 02:20

« Vivre ici, c’est comme vivre sur un bateau qui coule… » Tout est dit par Juliette Brunet. Cette jeune fille de 15 ans habite une île submergée jour après jour par la montée des eaux. Une île qui a perdu 90 % de sa superficie en soixante ans. Où est-elle cette île prénommée « Jean-Charles » ? Sous les tropiques ? Dans une région lointaine et isolée, au milieu de l’océan ? Non. Jean-Charles est aux Etats-Unis. Au sud de la Louisiane.

« Ici un terrain de foot disparaît toutes les heures », dit l’un des Amérindiens francophones qui vivent là depuis toujours – et qui tentent vaille que vaille d’évacuer ce Titanic terrestre, de sauver leur culture, leurs traditions, leur communauté. Mais voilà, « les gens ne croient pas à la montée des eaux. Ils voient, mais ne veulent pas voir. Ils sont dans le déni », se désole, dans son fauteuil roulant, « Hibou estropié », l’oncle de Juliette. Un déni partagé par Donald Trump. Et par cette industrie pétrolière qui a fait la fortune autant que l’infortune de cette splendide région.

Là est toute la force de ce documentaire. Avec ses paysages et ses visages aussi superbes que ravagés, il fait toucher du doigt, du cœur, cette évidence que le réchauffement ne concerne pas que « les autres », à l’autre bout du monde. Que la montée des eaux nous interpelle à deux pas de chez nous, ici et maintenant. Pascal Galinier

Les Naufragés de l’île de Jean-Charles, de Jean-Pascal Bublex (Fr., 2016, 52 min). Sur Pluzz.