Des élections législatives anticipées se tiennent samedi 28 octobre à Reykjavik. / HALLDOR KOLBEINS / AFP

« #höfumhátt », « prenons la parole ». Forcément, le hashtag en islandais est resté un peu plus confidentiel que « #metoo ». Il était pourtant là quelques mois auparavant, quand, à l’été, les femmes islandaises s’en sont emparées pour faire entendre leur voix. Et provoquer la chute du gouvernement.

A l’origine du mouvement de colère, une ancienne loi, héritée de la Constitution danoise. Celle du « Uppreist aeru », la « restauration de l’honneur ». Une législation obscure et désuète, censée rétablir les condamnés dans leurs droits civiques. Une aide pour se faire une place dans la société qui vient sous plusieurs conditions, dont celle d’avoir plusieurs personnes garantes de la moralité des condamnés. « Même malgré notre goût pour les vieux livres, cette loi écrite aux alentours de 1800 reste très difficilement compréhensible en terme juridique », souligne le sociologue Helgi Gunnlaugsson.

Au début de l’été, le cas de Robert Arni Hreidarsson, un ancien avocat condamné en 2007 à trois ans de prison pour avoir agressé sexuellement au moins quatre adolescentes, revient sur le devant de la scène. Son « honneur » a été « restauré » en septembre 2016, et il peut depuis de nouveau exercer librement.

Une situation intenable pour la famille d’une des victimes, dont le père est un comédien célèbre de cette petite île de 335 000 habitants. A plusieurs reprises, il se fait le porte-parole d’une colère qui devient vite plus grande que lui.

« Un effet cathartique très fort »

Car dans ce pays qui caracole en tête des classements sur le respect des femmes, les violences sexuelles sont encore trop souvent tues. « Les femmes islandaises ont pris la parole pour renvoyer un miroir à la société et dire “voulons-nous vraiment vivre dans un pays où des hommes qui ont fait tant de mal à des femmes ont le droit d’avoir leur honneur restauré” », raconte Frída Rós Valdimarsdóttir, présidente de l’association de défense des droits des femmes. « Ça a eu un effet cathartique très fort », explique la jeune femme.

Dans sa chambre aux teintes pastel, Anna Arnosdottir, étudiante en histoire de l’art, a collé sur le mur en face de son lit des coupures de presse de l’été. On y voit le visage souriant du juge de la Cour suprême, Jón Steinar Gunnlaugsso, qui y « appelle au calme ». « Il a osé conseiller aux victimes de pardonner leur agresseur, parce qu’elles vivraient bien mieux grâce à ça », souligne cette grande blonde de 27 ans, encore « habitée par la rage ».

« Comment quelqu’un peut encore dire ça à notre époque, et ne pas simplement respecter la douleur de femmes qui ont été détruites », s’interroge celle qui a fait partie de toutes les réunions publiques et manifestations sur le sujet. D’autant que Robert Arni Hreidarsson, lui, n’a « jamais admis ses crimes, ou demandé pardon à ses victimes », rappelle-t-elle. Elle a été une des premières à « prendre la parole », sur les réseaux sociaux. Racontant comment, un soir de sortie dans les rues de Reykjavik, un homme ivre l’avait plaquée au sol pour mieux lui soulever sa jupe et glisser ses doigts en elle.

« Banalisation de la violence envers les femmes »

Sur les réseaux sociaux, Anna n’est pas seule à raconter. Les témoignages sur les agressions sexuelles dont ont été victimes les femmes de l’île se multiplient. « Dans une société traditionnellement patriarcale, ces paroles sont venues rappeler une banalisation de la violence envers les femmes », analyse le sociologue Helgi Gunnlaugsson.

Puis, il y a ce qui est entré dans l’histoire. Ce que « personne n’aurait pu anticiper », se souvient Maríanna Traustadóttir, chargée des questions de genre au sein de la très puissante Confédération islandaise des travailleurs. Elle, qui avait été à l’origine d’un immense rassemblement de femmes avant les dernières élections, avoue « avoir été impressionnée par la force de la parole collective ». « Comme à chaque fois que les femmes ont la force de prendre la parole ensemble, elles sont parvenues à se faire entendre », souligne-t-elle.

Car en pleine controverse sur cette loi de « restauration de l’honneur », une autre affaire ressurgit. Le premier ministre de centre-droit, Bjarni Benediktsson, est accusé d’avoir dissimulé que son père, Benedikt Sveinsson, l’un des hommes les plus riches et influents d’Islande, a apporté sa caution morale à un pédophile condamné en 2004 pour avoir violé sa fille quasi quotidiennement pendant douze ans. L’homme, chauffeur de bus, travaillait notamment avec des enfants.

Poussé à la démission

L’identité de Benedikt Sveinsson avait été tenue secrète – seuls son fils et la ministre de la justice étaient au courant – jusqu’à ce qu’une commission parlementaire ordonne qu’elle soit rendue publique. Accusé d’avoir tenté d’étouffer l’affaire, le premier ministre a été lâché par un des trois partis de la coalition au pouvoir, et poussé à la démission. « Le gouvernement a d’abord tout fait pour étouffer le scandale, mais a dû renoncer face à la pression publique », relate le politologue à l’université de Reykjavik, Eirikur Bergmann.

Depuis, de nouvelles élections ont été convoquées le 28 octobre, dans une ambiance tendue. Quatre jours plus tôt, comme chaque année, les Islandais ont célébré leur journée de la femme, en souvenir d’une manifestation monstre qui avait rassemblé 90 % des femmes de l’île pour défendre leur droit. « Cette année, on s’est toutes regardées en se disant qu’on pouvait être fières de ce qu’on a fait », raconte Frída Rós Valdimarsdóttir, présidente de l’association de défense des droits des femmes.

Le Parlement islandais a voté le 27 septembre, lors de la dernière session parlementaire avant les élections, l’abrogation partielle et temporaire du texte sur la « restauration de l’honneur », avant sa révision par le prochain gouvernement.