C’est une expression de mécontentement rare en Erythrée, l’un des pays les plus fermés au monde. Une centaine de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale, Asmara, mardi 31 octobre, pour réclamer la réouverture de l’école islamique Al-Diaa, fermée par le gouvernement fin octobre. Alors que les élèves, accompagnés de leur famille, se dirigeaient vers le centre-ville pour protester contre la fermeture de leur école, la police aurait tiré sur les manifestants. Peu d’éléments d’informations sont disponibles sur les circonstances de l’événement, mais plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des personnes fuyant les coups de feu dans les rues d’Asmara.

Selon Red Sea Afar Democratic Organization, un groupe d’opposition basé en Ethiopie, voisin et ennemi de l’Erythrée, la répression aurait fait 28 morts et plus de 100 blessés, dont de nombreux enfants. Mais ces informations n’ont pu être confirmées de manière indépendante. De son côté, l’ambassade américaine a mis en garde contre « des coups de feu en plusieurs endroits d’Asmara en raison de manifestations » et appelé « les citoyens américains à éviter le centre-ville où les manifestations semblent les plus importantes » dans un message d’avertissement, mercredi 31 octobre. « Les rues dans le centre-ville pourraient être fermées, et la police continue à maintenir une importance présence », a précisé l’ambassade.

Une semaine plus tôt, le directeur de l’école privée islamique Al-Diaa, le nonagénaire Haji Musa, très respecté dans la communauté musulmane d’Asmara, « a été arrêté avec ses professeurs le 27 octobre, qui sont détenus depuis dans la prison centrale d’Asmara », indique Awate, un site d’information proche de l’opposition. La fermeture de l’école fait suite à un projet du gouvernement visant à transformer toutes les écoles du pays en écoles publiques. Depuis quelques mois, les autorités cherchent ainsi à reprendre le contrôle des quelques écoles confessionnelles, musulmanes et orthodoxes, qui sont restées ouvertes malgré la décision officielle.

Appel à l’armée

« En Erythrée, la religion est un problème de sécurité nationale, explique Amanuel Ghirmai Batha, de Radio Erena, une station érythréenne basée à Paris. Ils veulent imposer la laïcité dans les écoles, supprimer les symboles religieux, et notamment le hijab. C’est particulièrement sensible dans la communauté musulmane car certaines familles refusent que leurs filles aillent à l’école sans voile. » Selon le journaliste de Radio Erena, qui détient un solide réseau de correspondants clandestins sur place, le gouvernement a déployé l’armée dans les rues d’Asmara et arrêté plusieurs manifestants, la plupart mineurs.

Une information niée par le gouvernement. Sur son compte Twitter, le ministre érythréen de l’information, Yemane Gebremeskel Meskel, a parlé d’une « petite manifestation par une école à Asmara », qui a été « dispersée sans qu’il y ait eu de victimes ». Le média d’Etat, Eri TV, décrit les manifestants comme des « terroristes », des « djihadistes ».

Pour Selam Kidane, la coordinatrice du projet Freedom Friday (« les vendredis de la liberté »), une initiative lancée en 2011 pour mobiliser la population contre le régime, « sans surprise, le régime veut faire passer ce mouvement pour une tentative d’affirmation de la communauté musulmane. Or toutes les religions sont concernées. Des chrétiens ont eux aussi participé à la manifestation et certains ont été arrêtés ». Et de conclure : « Tout cela montre que le gouvernement a peur. Il voit le potentiel des manifestations, c’est pour cette raison qu’il a fait appel à l’armée. »

Le régime érythréen, tenu d’une main de fer depuis 1993 par le président Issayas Afeworki, est l’un des plus répressifs au monde. En juin 2016, une commission d’enquête de l’ONU l’avait accusé de crimes contre l’humanité à grande échelle.