De gauche à droite, Colin Stretch (Facebook), Sean Edgett (Twitter) et Richard Salgado (Google). / Andrew Harnik / AP

Les échanges furent crispés, mardi 31 octobre, lors de la première des trois audiences de responsables de Facebook, Google et Twitter devant des commissions du Congrès américain. Les directions des trois géants du Web doivent s’expliquer, mardi et mercredi, sur la façon dont leurs plates-formes ont pu être exploitées par la Russie pour influencer l’opinion publique pendant la campagne présidentielle américaine.

Durant trois heures, les sénateurs de la commission judiciaire du Sénat ont interrogé les trois entreprises – même si Facebook, le réseau social aux 2 milliards d’utilisateurs, était principalement dans leur ligne de mire.

Plutôt que leurs patrons, celles-ci ont préféré envoyer leurs directeurs juridiques, qui se sont globalement tenus au script. Celui-ci était connu dès lundi : pas de surprise, donc, sur le niveau d’ampleur de la manipulation que soupçonne le Congrès.

En résumé :

  • Facebook avait annoncé dès septembre avoir identifié 3 000 publicités, vues par 10 millions d’internautes américains. Lundi, l’entreprise a ajouté que 80 000 publications (non-payantes), soupçonnées d’être liées aux intérêts russes, avaient été vues par 126 millions d’Américains entre janvier 2015 et août 2017.
  • Google a révélé lundi que des comptes liés à une entité russe ont acheté pour 4 700 dollars de publicités diffusées par sa régie (une somme dérisoire à l’échelle d’une campagne électorale). Google a aussi trouvé sur sa plate-forme YouTube 1 108 vidéos créées par des comptes liés à la Russie, ayant cumulé au total 309 000 vues pendant la campagne.
  • Twitter a, de son côté, identifié plus de 36 000 comptes automatisés ayant publié 1,4 million de tweets, affichés 288 millions de fois.

Les limites de Facebook

Le sénateur Patrick Leahy pointe des exemples de pages Facebook soupçonnées d’êtres liées aux intérêts russes. Celles-ci propagaient des messages sur des sujets très polémiques aux Etats-Unis. / Drew Angerer / AFP

« Nous avons manqué des signaux », a reconnu Colin Stretch, le directeur juridique de Facebook. « Comment Facebook, qui s’enorgueillit d’être capable d’analyser des milliards de données (…), trouve le moyen de ne pas réaliser que des publicités électorales, payées en roubles, venaient de Russie ? », s’est indigné, lors d’une des séquences les plus tendues de l’audition, le sénateur Al Franken.

L’élu démocrate a demandé à Facebook d’interdire l’achat de publicités politiques avec des devises étrangères. « C’est relativement facile pour des acteurs mal-intentionnés de changer de devises », a répondu le représentant de Facebook.

L’entreprise, tout comme Twitter, a déjà annoncé il y a quelques jours des mesures pour lutter contre le phénomène. Elle compte notamment renforcer le contrôle sur l’identité des annonceurs publiant des messages politiques – il est interdit de financer depuis l’étranger des publicités politiques aux Etats-Unis.

Une bonne volonté affichée, mais dans la pratique, est-ce réalisable ? Les sénateurs en doutent. « Comment faites-vous si une société écran américaine bidon, qui s’appellerait “l’Amérique pour les chiots et la prospérité” et qui a une boîte postale comme adresse, vient dépenser 50 millions de dollars pour manipuler les résultats d’une élection ? », a demandé la commission.

« Je pense que c’est un problème, a reconnu Sean Edgett, le directeur juridique de Twitter. Nous allons devoir trouver un bon système pour comprendre qui sont vraiment ces clients. »

Difficile, donc, d’identifier avec certitude le véritable commanditaire d’une publicité, qui peut se dissimuler derrière une société fictive enregistrée aux Etats-Unis. D’autant plus, a souligné le sénateur John Kennedy, que Facebook a « 5 millions d’annonceurs qui changent tous les mois, toutes les minutes, probablement toutes les secondes ». « Vous n’avez pas la capacité de savoir qui est chacun de ces annonceurs, là, aujourd’hui, maintenant. » Ce qu’a admis le représentant de Facebook.

Pour tenter de contrôler plus efficacement la publicité sur son réseau social, Facebook a notamment annoncé le renforcement son équipe de modération, avec un millier de personnes supplémentaires dans les mois à venir.

« Parfois votre pouvoir m’effraie »

Colin Stretch, le directeur juridique de Facebook, doit encore être entendu par deux commissions. / SAUL LOEB / AFP

La commission a aussi demandé le point de vue des trois entreprises sur la proposition de loi « honest ads » (« publicités honnêtes », en anglais), visant à imposer aux géants du Web davantage de contrôle sur les publicités politiques.

Généralement hostiles à toute forme de législation pouvant les contraindre dans leurs pratiques, elles ont unanimement émis un avis négatif, arguant qu’elles étaient déjà en train de tout mettre en œuvre en ce sens.

Plus largement, les sénateurs ont profité de cette audition pour faire part de leurs craintes vis-à-vis de la puissance de ces plates-formes. « Vous faites beaucoup de choses bien, mais parfois votre pouvoir m’effraie », a déclaré John Kennedy.

Mazie Hirono, sénatrice démocrate, s’est de son côté interrogée sur l’influence réelle que les publications Facebook avaient pu avoir sur le scrutin. « Dans une élection dont l’issue aurait pu être modifiée pour un total de 115 000 votes, pouvez-vous affirmer que la propagande trompeuse et mensongère que les gens ont vue sur Facebook n’a pas eu d’impact sur l’élection ? »

Colin Strech a répondu : « Nous ne sommes pas bien placés pour savoir pourquoi un individu, ou un corps électoral entier, a voté comme il a voté. »

Mercredi, ces trois mêmes personnalités de Facebook, Google et Twitter doivent être entendus deux fois, par les commissions sur le renseignement du Sénat et de la Chambre des représentants.