Selon le directeur de la CIA, Mike Pompeo – ici, en octobre 2017 à Washington –, la divulgation de ces documents « donne l’opportunité aux Américains d’en savoir plus sur les projets et le fonctionnement de cette organisation terroriste ». / CAROLYN KASTER / AP

La CIA a mis en ligne, jeudi 2 novembre, 470 000 fichiers appartenant à Oussama Ben Laden, saisis lors du raid américain de 2011 au cours duquel le chef d’Al-Qaida – réseau djihadiste responsable des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis – a été tué au Pakistan.

Parmi la masse de documents figurent notamment des images de journaux intimes manuscrits de Ben Laden, mais aussi une vidéo du mariage de son fils Hamza, souvent considéré comme le « prince héritier du djihad », dont on découvre les premières images à l’âge adulte. Que nous apprennent ces documents ?

Selon Mike Pompeo, le directeur de l’agence de la CIA, cette publication « donne l’opportunité aux Américains d’en savoir plus sur les projets et le fonctionnement de cette organisation terroriste ».

  • Des relations entre Al-Qaida, un réseau islamiste sunnite, et l’Iran chiite…

Selon des chercheurs du think tank américain Foundation for Defense of Democraties (FDD), Thomas Joscelyn et Bill Roggio, qui ont eu accès aux documents avant qu’ils soient déclassifiés, ces derniers fournissent notamment des informations sur les relations troubles entre Al-Qaida, un réseau islamiste sunnite, et l’Iran chiite.

En octobre, lors d’une conférence organisée justement par le FDD, Mike Pompeo avait promis de dévoiler des documents illustrant les liens entre l’Iran et Al-Qaida, et ce alors que les Etats-Unis ne cessent de dénoncer « l’influence négative » de Téhéran au Moyen-Orient. La vidéo du mariage d’Hamza Ben Laden, apparemment tournée en Iran, en est un exemple.

Des documents déjà dévoilés, dont des lettres révélées par l’Agence France-Presse en mai 2015, montrent que Ben Laden destinait Hamza à lui succéder à la tête du djihad mondial antioccidental. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 27 ou 28 ans, se trouverait actuellement en Iran.

Et l’un des textes tout juste déclassifiés est une étude de 19 pages sur les liens entre Al-Qaida et l’Iran, rédigée par un lieutenant de Ben Laden, rapportent dans un article les chercheurs du FDD. Elle montre que Téhéran a proposé entraînement, argent et armes à des « frères saoudiens » d’Al-Qaida, à condition qu’ils attaquent les intérêts américains dans le Golfe, ajoutent-ils.

Par ailleurs, selon eux, le fait qu’Hamza Ben Laden et d’autres figures du réseau djihadiste puissent vivre sous la protection iranienne, ou sous la garde de l’Iran selon les hypothèses, pourrait aussi être la preuve d’une relation de travail entre Téhéran et le chef d’Al-Qaida.

  • … qui restent troubles

La vraie nature de cette relation entre Al-Qaida et l’Iran reste toutefois controversée, soulignent les experts du FDD. En effet, l’Iran et les groupes chiites qu’il soutient au Moyen-Orient sont souvent opposés à des mouvements sunnites proches de l’idéologie d’Al-Qaida.

Les fichiers font par exemple état de vifs désaccords entre Iraniens et djihadistes du réseau sunnite, comme le montre une lettre de Ben Laden au Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, pour demander la libération de ses proches.

« D’autres documents montrent qu’Al-Qaida a enlevé un diplomate iranien pour obtenir un échange » de prisonniers, explique Thomas Joscelyn. « La correspondance d’Oussama Ben Laden prouve que lui et ses lieutenants s’inquiétaient également de la possibilité de voir les Iraniens suivre Hamza ou d’autres membres de la famille après leur libération. »

En outre, toujours selon les chercheurs, « Ben Laden lui-même étudiait des plans pour contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient, qu’il jugeait pernicieuse ». Mais, in fine, écrivent-ils, l’analyse des documents laisse penser qu’Al-Qaida a pu maintenir un « canal de facilitation important » en territoire iranien.

  • Plusieurs observateurs sceptiques

La publication de ces archives, et leur analyse par le FDD, un groupe de pression connu pour ses positions très hostiles à l’égard de l’Iran, a laissé sceptiques plusieurs observateurs à Washington.

Ces documents « ne nous apprennent rien que l’on ne sache déjà », a assuré de son côté Ned Price, ancien conseiller de l’ex-président Barack Obama. Il a ainsi soupçonné sur Twitter le patron de la CIA de les avoir déclassifiés pour apporter de l’eau au moulin de ceux qui souhaitent un conflit ouvert avec l’Iran :

« Ces agissements suggèrent qu’il en revient à la stratégie de l’administration Bush : mettre l’accent sur les liens terroristes pour justifier un changement de régime. »