Editorial du « Monde ». C’est une maladie mortelle qui refuse de s’éteindre. L’antisémitisme a encore frappé en France, en cette Toussaint 2017. La victime, pourtant, était déjà morte, sous la torture, onze ans plus tôt, mais visiblement, cela ne suffisait pas.

Pour la deuxième fois, la stèle dressée dans le parc communal de Bagneux (Hauts-de-Seine) à la mémoire d’Ilan Halimi, jeune homme kidnappé parce que juif en 2006, puis tué par ses agresseurs après vingt-quatre jours de martyre, a été profanée. Elle a été retrouvée mercredi 1er novembre par des promeneurs, arrachée de son socle, couverte d’insultes antisémites et marquée d’une croix gammée.

La police a été saisie – comme il se doit. Elle ne l’est pas toujours, malheureusement, dans cet antisémitisme ordinaire décrit par le reportage que nous publions aujourd’hui. Trop souvent, les personnes visées par des insultes quotidiennes, des tags menaçants dans leur cage d’escalier, voire des rassemblements hostiles au bas de leur immeuble préfèrent déménager, discrètement, plutôt que d’affronter la haine au grand jour et de probables représailles. Trop de parents juifs renoncent à protester contre l’ostracisme qui vise leurs enfants dans des écoles publiques et se résignent à les placer dans des établissements privés, juifs ou laïcs.

Cette situation n’est pas tolérable. On pourra faire valoir que les actes d’antisémitisme sont en baisse par rapport à la flambée de 2014. L’horreur des assassinats commis par Mohamed Merah dans une école juive de Toulouse, en 2012, a fini par réveiller les consciences. Si en 2014 un acte raciste sur deux était dirigé contre des juifs (qui constituent moins de 1 % de la population française), cette proportion n’était plus « que » de un sur trois en 2016.

« Bête immonde »

Des campagnes de sensibilisation ont été menées, un « plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme » a été lancé en 2015 par le premier ministre d’alors, Manuel Valls. Il est difficile d’en mesurer l’impact ; mais malgré les appels du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le nombre de juifs de France quittant leur pays pour Israël, qui avait fait un bond de 2 000 par an en moyenne à 7 900 en 2015, a diminué depuis de façon constante, avec 5 000 départs en 2016 et une baisse supplémentaire de 26 % annoncée pour 2017.

L’antisémitisme, pourtant, cette « bête immonde » dénoncée par le premier ministre, Edouard Philippe, il y a un mois lors de ses premiers vœux à la communauté juive, bouge encore. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait en mars la persistance des « vieux préjugés antisémites liant les juifs au pouvoir et à l’argent », accompagnés d’une « nouvelle judéophobie », tout en observant également la difficulté des musulmans de France à se faire accepter.

Les juifs demeurent l’objet fantasmé d’une haine quotidienne dans les banlieues. C’est cette « nouvelle judéophobie », notamment véhiculée par les réseaux sociaux, qui entretient l’antisémitisme ordinaire en France. L’Etat doit poursuivre, résolument, sa lutte contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme. Mais il doit associer à cette lutte les géants d’Internet, trop laxistes, quelles que soient leurs dénégations, sur les flots de haine qui se déversent quotidiennement en ligne. A eux, aussi, d’exercer une responsabilité à la mesure de leur impact dans la société française, dans toute sa diversité.