Patrice Evra, jeudi 2 novembre, à Guimaraes. / Luis Vieira / AP

Difficile de ne pas assimiler ce geste fou à un sabordage, voire à un suicide sportif et médiatique. En assénant un coup de pied spectaculaire au visage d’un supporteur marseillais, avant la rencontre de Ligue Europa contre les Portugais de Guimaraes, le vétéran (36 ans) Patrice Evra a, lui-même, choisi sa sortie, jeudi 2 novembre. Un épilogue à la fois théâtral et pathétique. Point d’orgue d’une carrière contrastée, sulfureuse, faite de moments de gloire (cinq finales de Ligue des champions disputées avec Monaco, Manchester United et la Juventus Turin, une myriade de titres) mais aussi d’algarades explosives et de cinglantes rebuffades.

Ce coup de sang devrait, en tout état de cause, sceller la fin du parcours chaotique de l’arrière gauche à l’Olympique de Marseille. Chauffé à blanc durant une vingtaine de minutes par le parcage phocéen, sous les insultes et les quolibets, le trentenaire a d’abord répondu à sa manière, par un rictus ironique, avant de perdre ses nerfs.

Vers un licenciement ?

Cet impressionnant « high-kick » administré, en mondovision, à un supporteur olympien vaut à l’international français (81 sélections de 2004 à 2016) d’être le premier joueur à avoir été exclu de Ligue Europa avant même le coup d’envoi d’une rencontre. Dans le viseur de la commission de discipline de l’Union des associations européennes de football (UEFA), qui tranchera le 10 novembre, et sous la menace d’une longue suspension, Evra dit « Tonton Pat’ » fait aussi l’objet d’une enquête interne diligentée par les dirigeants de l’OM.

« Un joueur professionnel se doit de garder son sang-froid face à des provocations et des insultes, aussi dures et injustifiées soient-elles », a réagi le club dans un communiqué, tout en condamnant l’attitude de « pseudo » supporteurs ayant un « comportement destructeur (…) au moment où chacun doit au contraire soutenir son équipe ». « Quand on est un joueur expérimenté comme Pat’ Evra, on ne peut se permettre de répondre aux insultes. Une telle réaction n’est pas admissible, il doit retenir ses nerfs », a déclaré l’entraîneur marseillais, Rudi Garcia, alors qu’un tel dérapage est catastrophique pour sa formation, battue (1-0) par Guimaraes, en termes d’image.

Quelle sanction le président de l’OM, Jacques-Henri Eyraud, infligera-t-il à l’un des cadres de son vestiaire, sous contrat jusqu’en juin 2018 et rémunéré à hauteur de 2,5 millions d’euros par an? Ira-t-il jusqu’à licencier celui que Frank McCourt, le propriétaire américain du club, qualifiait, il y a peu, de « super personnage »?

Une carrière touchant à son crépuscule

Au-delà de la personnalité hors norme d’Evra, qui s’est fait prendre en photo avec des enfants après son exclusion, il faut revenir sur le long chemin de croix du latéral gauche à l’OM pour analyser son geste. Placardisé en sélection au sortir de la finale de l’Euro 2016 perdue contre le Portugal, remplaçant avec la Juventus Turin, l’ex-capitaine de Manchester United (2006-2014) débarque à Marseille, en janvier, pour relancer une carrière touchant à son crépuscule. Respecté pour sa ­longévité, le doyen au profil d’aboyeur s’est surtout imposé, au fil des années, comme un taulier de vestiaire, dont les causeries ont un effet galvanisant.

« L’OM, c’est le combat, c’est ne jamais rien lâcher, c’est montrer qu’on n’a pas peur. C’est être dans le rapport de force. Evra, comme Dimitri Payet [l’autre recrue phocéenne], est parfaitement en phase avec les valeurs du club », assurait d’ailleurs au Monde, en février, Jacques-Henri Eyraud. Combatif mais à court de rythme, l’ex-joueur de l’AS Monaco (2002-2006) montre toutefois rapidement ses limites sur le terrain. Son impact physique décline. Invariablement ses performances déçoivent et suscitent les moqueries. Le 10 septembre, il perd définitivement sa place sur l’aile gauche au terme d’une prestation catastrophique livrée face à Rennes (défaite 1-3).

Entre blessures et forfaits diplomatiques, il est progressivement « exfiltré » par le staff technique, soucieux de lui éviter un tombereau de sifflets au Vélodrome. Eclipsé par le jeune Jordan Amavi (23 ans), Evra continue pourtant à se poser en taulier du vestiaire, s’illustrant dans des vidéos délirantes sur Instagram. Pour Halloween, il arbore un sabre en plastique, couvert de faux sang. En septembre, en pleine disgrâce sur le plan sportif, il distribue des sacs de nourriture à des sans-domicile-fixe dans les rues de Marseille. « Et vous, qu’avez-vous fait aujourd’hui ? Avez-vous aidé quelqu’un ? Ou vous êtes-vous juste plaints en accusant les autres ? », commente alors l’intéressé.

A l’unisson, la presse sportive considère aujourd’hui le « pétage de plombs » d’Evra à Guimaraes comme le dernier acte de sa carrière professionnelle. A titre de comparaison, L’Equipe assimile le trentenaire sur le déclin à un « Cantona du pauvre », rappelant que le coup de pied kung-fu du « King » de Manchester United (suspendu neuf mois, condamné à cent vingt heures de travaux d’intérêt collectif et à 40 000 livres d’amende) avait été asséné à un supporteur de Crystal Palace. Et non à un supporteur de MU. « Si Cantona a eu tort, il a également des circonstances atténuantes. Il a été insulté de manière inqualifiable et il a réagi de manière instinctive », avait à l’époque déclaré sir « Alex » Ferguson, le manageur historique des Red Devils et alors premier soutien de « Canto ».

« Chasse à la taupe »

A l’aune de la personnalité d’Evra, les dirigeants de l’OM ne devraient pas être aussi cléments que le mythique entraîneur écossais. Dans le parcours du joueur, il y aura un avant et un après 20 juin 2010, jour de la tragi-comique grève du bus de Knysna, qui avait scellé le fiasco des Bleus lors du Mondial en Afrique du Sud. Alors capitaine des mutins, interlocuteur privilégié d’un Raymond Domenech sur le départ, l’enfant des Ulis (Essonne) se distingue par une dispute avec Robert Duverne, le préparateur physique des Tricolores.

Suspendu cinq matchs par la Fédération française de football (FFF) après le crash de Knysna, Evra a d’abord fait profil bas lors de son retour en sélection, en mars 2011. Snobant la presse française, le trentenaire s’est ensuite illustré par sa charge maladroite, en octobre 2013, contre trois consultants vedettes, qualifiés de « parasites et de clochards ».

Durant le Mondial 2014, au Brésil, il finit par se réconcilier avec les suiveurs des Bleus lors d’une conférence de presse d’anthologie, refermant l’épisode grotesque de la chasse à la « taupe » qui permit à L’Equipe de titrer « Va te faire enculer, sale fils de pute ! » (son auteur, Anelka, fut expulsé du groupe) lors du désastre en Afrique du Sud.

Paratonnerre médiatique, et « grand-frère » du vestiaire de l’équipe de France jusqu’à l’Euro 2016, « Tonton Pat’ » espérait encore que ses vieilles cannes lui permettraient de disputer la Coupe du monde 2018, en Russie, à l’âge avancé de 37 ans. Déjà illusoire au regard de ses performances à l’OM, ce doux rêve s’est définitivement éteint à Guimaraes.