Francois Gabart et Pascal Bidégorry lors de la Transat Jacques Vabre en 2015. / Vincent Curutchet / DPPI

Au collège, lui aussi dessinait pour passer le temps. Des bateaux, bien entendu. « J’aimais griffonner des bateaux de croisière avec un lit, une cuisine. Je dessinais plus l’intérieur que l’extérieur », raconte François Gabart, bien assis dans le salon d’un hôtel, passage obligé d’une escale médiatique à Paris. S’il avait imaginé, à l’époque, son voilier d’aujourd’hui ! Un trimaran géant de 100 pieds, soit 30 mètres de long, pour guigner un nouveau record : le tour du monde en multicoque solitaire et sans escale.

Gabart connaît déjà son port de départ, au large de l’île d’Ouessant (Finistère). La date du début, aussi : il est parti, ce samedi 4 novembre à 10h05, après avoir attendu la fenêtre météo opportune pendant deux semaines. Seuls trois marins ont déjà réussi pareille odyssée. Francis Joyon en 2004, puis 2008. Ellen MacArthur en 2005. Et enfin Thomas Coville, le plus rapide, en décembre 2016 : 49 jours, 3 heures, 7 minutes et 38 secondes.

« Moi, j’ai commencé à naviguer avec un GPS »

Pourquoi si peu ? Tignasse blonde et yeux clairs, « le Petit Prince » liste plutôt les changements qui permettent désormais l’aventure, autre façon de répondre. Pêle-mêle, l’amélioration du « niveau de compétences, de connaissances techniques, de préparation sportive », l’apparition de l’« électronique » sur les embarcations, l’approfondissement des « connaissances météorologiques ». Ou encore : l’émergence des foils, « ces appendices qui donnent des ailes aux bateaux, une révolution sans précédent ». En un mot, la modernité.

Gabart, 34 ans, est bien de son temps. Du genre à utiliser des récepteurs électroniques plutôt qu’un instrument vieille école. « Moi, j’ai commencé à naviguer avec un GPS, je ne sais pas faire un point au sextant, reconnaît le vainqueur de l’édition 2013 du Vendée Globe. Mais j’aimerais bien apprendre par curiosité, pour voyager en famille et regarder les étoiles. » Un peu comme son dentiste de père, qui avait pris une année sabbatique pour traverser l’Atlantique avec femme et enfants. « J’avais 6 ans et à l’époque, il utilisait encore le sextant. »

Fini l’héroïsme, fini l’aventure à bord de vieux rafiots ? Haussement poli d’épaules : « On a de la technologie, il faut s’en servir. D’un point de vue sécurité, je trouverais un peu débile de traverser l’Atlantique sans avoir de GPS. » Même remarque à propos du téléphone satellite qui le maintiendra en contact permanent avec la terre : « Les bateaux évoluent de façon cohérente avec la société. Il y a trente ans, en effet, les marins qui partaient à travers l’Atlantique n’avaient plus de contact avec personne. Mais toi non plus, si tu partais au travail ou si tu allais faire les courses, tu n’avais pas de téléphone portable. »

Navigateur connecté

Le navigateur ignore à quelle fréquence il appellera son fils de 5 ans, mais a déjà prévu un appel chaque matin à son équipe technique restée en Bretagne. Une communication quotidienne pour affiner sa stratégie de course suivant les conditions climatiques. « J’aurai une équipe à terre qui travaillera avec moi mais, physiquement parlant, je serai seul », insiste le sportif, qui revendique une démarche « introspective ». « Dans la vie on a des décisions à prendre tous les jours mais là, sur un bateau, si t’as une avarie, si quelque chose casse, tu es tout seul pour faire face à ces difficultés. »

Le solitaire aura aussi accès à une connexion Internet. Et donc au réseau social Twitter, où 24 000 abonnés suivent ses messages. Pratique pour s’informer : « Si tu pars une cinquantaine de jours en mer, six mois plus tard, tu te rends compte que des choses t’ont échappé. Le décès d’une personne importante, par exemple. » Pratique aussi pour communiquer et mentionner, à l’occasion, le nom de la Macif. La société d’assurance finance à grands frais le projet du marin et sa petite entreprise de course : 25 millions d’euros entre 2015 et 2019.

Le 13 novembre 2015, Gabart vivait en direct les attentats terroristes à Paris et à Saint-Denis. Depuis son bateau, sur Twitter. « Je voyais les messages “coups de feu à Paris”, j’ai passé la nuit à suivre à ce qu’il se passait. Sur l’eau, il y a une espèce de distance où tu te dis : comment est-ce possible ? Notre société est magnifique et parfois tu te dis que ça ne tourne pas très rond. » Une société en quête de « bouffée d’oxygène », selon le navigateur. « Sans faire dans le larmoyant, j’ai déjà reçu des messages hypertouchants de gens qui m’ont dit avoir passé une bonne partie de leur séjour à l’hôpital à suivre mes courses sur Internet ou leur télévision. » Connectés, eux aussi.