Documentaire sur Toute L’Histoire à 20 h 45

Les films amateurs sont devenus, ces dernières années, un matériau tant pour les historiens et les sociologues que pour les réseaux de cinémathèques qui les collectent, les préservent et les raniment. Ainsi de la vingtaine de bobines (8 mm et 16 mm) de Robert Bernas que son fils a déposées en 2008 au Forum des images et dont « le caractère précieux et émouvant » n’a pas échappé à ­Magali Magne, chargée des archives familiales et documentariste. « J’ai été saisie par la joie et l’inventivité de ces images. Pour moi, il était essentiel de les mettre en lumière, en respectant la manière de filmer de Robert Bernas, son don “tourné-monté”, afin de transmettre cette histoire d’exil qui nous parle d’aujourd’hui. »

Après Graine de poilu (2014), la réalisatrice poursuit donc son travail, au croisement des mémoires familiale et collective, avec Journal filmé d’un exil. Un documentaire délicat et touchant, composé avec la complicité d’Harry Bernas, qui apporte sous la forme dialoguée son éclairage, dont la singularité tient pour beaucoup au regard de son père, cinéaste amateur et témoin averti de son temps.

Issu d’une famille juive russo-polonaise qui s’est exilée à Paris, Robert Bernas n’est encore qu’un jeune garçon de 13 ans lorsque, peu après la mort de son père, sa mère, seule et sans ressources, l’envoie à Vienne, en Autriche, chez l’une des tantes. Gouvernante chez Léopold Blum, « roi du linoléum », celle-ci a la charge des enfants, parmi lesquels Lola, avec laquelle Robert se lie, avant de se marier en 1933.

Moment de bonheur familial

En 1936, à la naissance de Harry, son premier enfant, ce passionné de photo acquiert une caméra 8 mm Euming, avec laquelle il commence à immortaliser chaque moment de bonheur familial, mais aussi expérimente la couleur, les surimpressions. Comme à Paris, où il se rend en 1937 lors de l’Exposition universelle. Là, au détour de scènes pleines de gaieté avec les siens, il filme les pavillons allemand et sovié­tique. Un an plus tard, le 12 mars 1938, aux premières heures de l’Anschluss, Robert Bernas capte de sa fenêtre le défilé des avions de la Luftwaffe. Plus tard, malgré les risques, caméra camouflée dans son manteau, il saisira la liesse des Viennois à l’arrivée des Allemands ; les rues et les boutiques – dont celle de son beau-père – pavoisées de drapeaux nazis. Puis, chez lui, par des plans symboliques, l’attente, l’angoisse et la peur.

Devant les menaces et les exactions contre les juifs, la famille se disperse, les uns en Italie, les au­tres, comme Robert, Lola et Harry, à Paris. Même si le ciel continue de s’assombrir, devant sa caméra défilent joyeusement cousins, frères et sœurs, oncles et tantes. Comme autant d’images d’un bonheur en trompe-l’œil qu’il ­enregistre pour conjurer le pire et conserver une trace des siens. « Il avait le sens de l’histoire, confie son fils, et pour lui la famille était importante, elle allait se disperser. Il fallait conserver ce qu’on avait perdu. »

Robert Bernas et Lola, son épouse, en août 1939. / Arte

Après avoir saisi à travers d’étonnants portraits la « drôle de guerre » lors de sa mobilisation en Champagne, puis les destructions sur la route de l’exode, Robert Bernas va ouvrir un nouveau chapitre de ce « journal filmé » : celui de l’exil qui le conduira à Marseille, Casablanca, Lisbonne et enfin New York, où il résidera jusqu’en 1947, avant de regagner la France.

Reste que soixante-dix ans plus tard, Harry, qui a gardé de ces multiples exils un sentiment d’illégitimité, s’emporte contre le sort des réfugiés en France et le « délit de solidarité », avant de s’exclamer : « Les réfugiés, c’est nous ! »

Journal filmé d’un exil, de Magali Magne (Fr., 2017, 55 min).