File d’attente pour postuler à un emploi de fonctionnaire à Jammu, dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire. / Jaipal Singh/EPA

Les faux recruteurs agissaient en vrais professionnels. Ils avaient créé le site Internet de la Société d’agriculture et d’horticulture d’Inde, un faux organisme public qui prétendait recruter 16 000 employés. Pour déposer sa candidature, il fallait toutefois débourser 750 roupies, l’équivalent de 10 euros.

Mercredi 26 octobre, la police de Jaipur est allée cueillir les escrocs dans l’hôtel qu’ils avaient loué pour faire passer les faux entretiens d’embauche et empocher l’argent. 8 500 candidats étaient tombés dans le piège, selon le quotidien The Times of India, qui a révélé l’information. Dans un pays où 10 à 15 millions d’actifs arrivent sur le marché du travail chaque année, et où la croissance faiblit, le moindre emploi vaut de l’or, particulièrement dans la fonction publique.

A l’été 2015, le gouvernement de l’Uttar Pradesh, un Etat du nord de l’Inde, a reçu 2,3 millions de candidatures – dont 220 000 d’ingénieurs et 225 de doctorants – après avoir publié une annonce pour le recrutement de 368 garçons de bureau. Un travail qui consistait à servir le thé ou à ranger des dossiers. Ces chiffres, tout comme la multiplication des escroqueries aux faux entretiens, témoignent de l’ampleur du chômage en Inde, en l’absence de statistiques officielles.

Parmi les candidats dupés, des étudiants qui ont dépensé jusqu’à 10 000 euros pour leurs études, une fortune dans un pays comme l’Inde.

Pour celui qui a quelques années d’expérience dans le domaine de la recherche d’emploi, le plus sûr moyen de trouver du travail consiste à racketter d’autres chômeurs. Le quotidien Hindustan Times a publié mi-octobre une longue enquête sur ce sujet. Deux journalistes ont suivi une étudiante à laquelle un agent demande, une première fois, 500 roupies contre la promesse d’un emploi. Puis il l’envoie dans un bâtiment délabré de la capitale indienne où elle doit payer, tout comme les centaines d’autres candidats présents, 1 000 roupies (15 euros) supplémentaires pour suivre une « formation à l’embauche ». Sur place, des agents les redirigent ensuite vers des centres d’appels pour des entretiens. Or certains d’entre eux vendent justement par téléphone… de faux emplois. D’après le quotidien Hindustan Times, 140 cas de fraudes de ce type ont été recensés dans les médias entre septembre 2016 et septembre 2017. Un chiffre en forte augmentation.

Dans leur longue enquête, les journalistes rencontrent parmi les candidats dupés des étudiants qui ont dépensé jusqu’à 10 000 euros pour leurs études, une fortune dans un pays comme l’Inde. Dans le sillage du boom de l’industrie informatique et des centres d’appels dans les années 1990, des milliers d’écoles privées se sont créées avec la promesse d’offrir des emplois d’informaticiens à des étudiants originaires de petites ou moyennes villes. En réalité, leurs diplômes ne valent pas grand-chose. Seuls 3 % des diplômés d’écoles d’ingénieurs du pays sont d’ailleurs employables. Et même ceux-là doivent être ensuite formés dans les entreprises qui les recrutent. Toutes les grandes sociétés informatiques indiennes possèdent leur académie.

Le fléau de la corruption

Si les candidats sont prêts à débourser de l’argent pour passer un entretien d’embauche, « c’est à cause de l’idée que tout ce qui a de la valeur a un prix », témoigne un étudiant de New Delhi. Pour les plus pauvres, une carte de rationnement ou une aide financière de l’Etat se paie souvent, moyennant un pot-de-vin versé à un fonctionnaire. La corruption ne concerne pas seulement le secteur public. Dans le passé, des recruteurs de grandes entreprises privées ont été pris en flagrant délit de corruption : ils demandaient à des étudiants rencontrés sur des campus des pots-de-vin en échange d’une embauche.

Début octobre, des juges de la Haute Cour de justice de Chennai ont reçu par courrier des offres leur proposant de postuler à un poste de greffier en provenance de plusieurs agences de recrutement. Intrigués, ils ont ordonné une enquête de police. Il s’est avéré qu’un jeune diplômé, fatigué d’être escroqué, avait envoyé les coordonnées des juges à un faux recruteur dans l’espoir qu’ils recevraient les offres et réaliseraient ainsi l’ampleur des fraudes.