De gauche à droite, le Péruvien Manuel Burga, le Brésilien José Maria Marin et le Paraguayen Juan Angel Napout comparaissent, lundi 6 novembre, à New York, au procès du « FIFAgate ». / - / AFP

La juge Pamela Chen est sous les feux de la rampe. Nommée au forceps par Barack Obama en 2013 dans le district Est de New York, la quinquagénaire est chargée du procès du « FIFAgate », qui s’ouvre à Brooklyn, lundi 6 novembre. Deux ans et demi après avoir ordonné la fameuse opération de police à l’hôtel Baur au bord du lac de Zurich, la justice états-unienne s’apprête à entendre trois des quarante-deux personnalités du football mondial aujourd’hui mises en cause pour corruption, racket, escroquerie, blanchiment d’argent et fraude.

Sont appelés à la barre José Maria Marin, 85 ans, ancien patron de la Confédération brésilienne de football (2012-2015) et ex-chef du comité d’organisation du Mondial 2014, lui-même arrêté à l’hôtel Baur ; Manuel Burga, ex-président de la Fédération péruvienne (2002-2014), et le Paraguayen Juan Angel Napout, ancien numéro 1 de la Confédération d’Amérique du Sud (Conmebol), et ex-vice-président de la Fédération internationale de football (FIFA), tous deux arrêtés en décembre 2015.

150 millions de dollars de pots-de-vin

Si les trois dirigeants sud-américains n’ont pas reconnu leur culpabilité, leur comparution est le point d’orgue d’une longue enquête qui a mis au jour 150 millions de dollars de pots-de-vin versés depuis 1991 aux dirigeants incriminés en échange de droits médiatiques et de marketing lors de compétitions organisées aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. En mai 2015, la ministre de la justice américaine Loretta Lynch avait dépeint « un système vieux de vingt-quatre ans destiné à s’enrichir grâce à la corruption dans le football international ».

Copa America, Copa libertadores, Gold Cup, matchs amicaux, attribution des Coupes du monde 1998 et 2010 : les enquêteurs ont passé au peigne fin le schéma de corruption mis en place tant par les dirigeants de la Conmebol que par ceux de la Concacaf (Confédération de l’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes). A ce jour, deux condamnations ont été prononcées. Costas Takkas, ancien secrétaire général de la Fédération des îles Caïmans, passera trois mois effectifs en prison. Quant à l’ex-patron de la Fédération guatémaltèque, Hector Trujillo, il a été condamné à huit mois d’incarcération. Ces deux acteurs mineurs du « FIFAgate » avaient plaidé coupables.

La justice américaine devrait être moins clémente avec Jeffrey Webb, ancien numéro 1 de la Concacaf (2012-2015) et ex-vice-président de la Concacaf, arrêté à l’hôtel Baur et qui connaîtra sa peine le 24 janvier 2018. Le Caïmanais, qui a reconnu sa culpabilité, avait succédé au Trinidadien Jack Warner, 74 ans, ancien patron de la Concacaf (1990-2011), suspendu à vie par la FIFA et lui aussi inculpé par la justice américaine.

Château de cartes

Ce dernier est, entre autres, soupçonné d’avoir empoché 10 millions de dollars en échange de trois voix en faveur de l’Afrique du Sud lors du vote d’attribution du Mondial 2010, qui s’est tenu en mai 2004. A la croisée de tous les scandales, le septuagénaire mène un bras de fer judiciaire pour éviter d’être extradé aux Etats-Unis. Ses deux fils ont, eux, plaidé coupables. Autre figure de la corruption, le Brésilien Ricardo Teixeira, ancien patron de la Confédération de son pays (1989-2012) et gendre de Joao Havelange, l’ex-numéro 1 de la FIFA (1974-1998), est lui aussi inculpé par la justice états-unienne et visé par les autorités de son pays.

Sepp Blatter et Jack Warner, en 2007. / Paul Chiasson / AP

Depuis l’opération policière au lac de Zurich, le château de cartes de la FIFA s’est écroulé. Lancée deux jours avant le 65e congrès de l’organisation et la réélection du Suisse Sepp Blatter pour un cinquième mandat à sa tête, l’opération avait été menée à la suite des révélations de l’Américain Chuck Blazer, ancien secrétaire général de la Concacaf, ex-membre du comité exécutif de la FIFA et arrêté pour fraude fiscale. Depuis, l’ex « taupe » du FBI est morte, en juillet. Et s’ils n’ont pas été inculpés par les autorités américaines, Sepp Blatter et son secrétaire général français, Jérôme Valcke, ont été emportés par cette tornade judiciaire.

Suspendu six ans par les instances disciplinaires de la FIFA, sous le coup d’une procédure pénale en Suisse, l’ex-patron de la FIFA (1998-2015) avait été poussé à l’abdication, le 2 juin 2015, par le cabinet californien Quinn Emanuel, chargé de défendre les intérêts de la FIFA dans sa procédure avec les autorités américaines. « La FIFA était alors identifiée par les autorités américaines de justice, le FBI, et de contrôle financier, comme une organisation mafieuse, confiait l’octogénaire au Monde, en décembre 2015. Le fait d’avoir mis mon mandat à disposition a changé les choses. Maintenant, la FIFA, du point de vue des autorités américaines, est considérée comme une victime. »

Sepp Blatter ne quitte toutefois plus la Suisse depuis sa déchéance. « Aussi longtemps que les Etats-Unis avaient mis le grappin sur la FIFA, on m’avait dit : “Restez en Suisse, il ne vous arrivera rien.” », assurait-il au Monde, en décembre 2016.

La FIFA réclame des dédommagements financiers

De son côté, la FIFA se prévaut d’un statut de victime et a réclamé à la justice américaine, en mars 2016, le versement de dédommagements financiers. Présidée par le Suisse Gianni Infantino, elle demande la restitution des « salaires, bonus, bénéfices et autres compensations » qu’elle a accordés à ses dirigeants inculpés depuis « au moins 2004 ». La FIFA évalue « ces pertes » à plus de 28 millions de dollars. Contactée par Le Monde, l’organisation n’a pas souhaité « faire de commentaire sur les procès de New York ».

« Je pense que la justice américaine va faire le ménage, avance Guido Tognoni, ancien cadre de la FIFA et ex-conseiller de Sepp Blatter. La justice américaine est très forte dans le “self-marketing”. Si les juges ont une occasion de se distinguer, ils le font. Le problème d’Havelange et de Blatter est qu’ils ont toujours toléré les combines, s’ils n’étaient pas eux-mêmes impliqués. » A l’aune des chefs d’inculpation de corruption et fraude qui les visent, Juan Angel Napout, Manuel Burga et José Maria Marin encourent des peines pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison.