Entre deux missions, les cinématiques de « WWII » mettent l’accent sur la fraternité qui porte les soldats américains. / Activision

Depuis bientôt quinze ans, les épisodes de la saga Call of Duty se suivent et ne se ressemblent pas tant que ça. A l’origine série de jeux de tir retraçant assez classiquement les batailles les plus emblématiques de la deuxième guerre mondiale, le titre d’Activision est ensuite allé chercher l’inspiration du côté de conflits fictifs et souvent plus ou moins futuristes, projetant le joueur deux ans ou deux siècles en avant, lui faisant visiter Tchernobyl, le Moyen-Orient ou encore l’espace. Tout un programme.

Un programme qui lui a un temps réussi, avant que l’aura de la série ne commence, lentement mais sûrement, à décliner. Cette année, l’éditeur se devait d’agir. C’est sans doute pourquoi ce nouvel opus, sorti le 3 novembre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, revient planter ses rangers dans les sables de Normandie et la gadoue des Ardennes des années 1940.

Tir aux pigeons

Depuis bientôt quinze ans, les différents Call of Duty ne se ressemblent peut-être pas, mais ils se jouent tout de même un peu de la même façon. A elle seule, la série a popularisé le jeu de tir à grand spectacle. Une expérience pyrotechnique, cinématographique : à chaque Call of Duty ses séquences épiques, millimétrées, où chaque événement est chorégraphié avec soin. Et tant pis pour la spontanéité ou le libre arbitre de celui qui tient la manette.

Dans Call of Duty, on ne se perd jamais puisque, à l’insu du joueur, les niveaux sont architecturés comme des couloirs élégants, aux barrières invisibles et aux limites indécelables. En son sein, le joueur n’a finalement qu’à viser un peu, tirer souvent, et avancer les yeux grands ouverts, admirant ces dioramas, un peu toc mais haletants.

Malgré son grand âge, le moteur de « Call of Duty » continue de dépeindre des tableaux régulièrement saississants. / Activision

Cet épisode, WWII, ne fait pas figure d’exception, mais tout de même. Entre deux séquences de tir aux pigeons (ou plutôt, aux nazis), il introduit quelques nouveautés, comme la possibilité de demander, à intervalles réguliers, un coup de main à ses frères d’arme. Quelques munitions, des grenades, des trousses de soin (qui font leur grand retour après des années de régénération automatique de la santé)… autant de raisons de s’intéresser au sort de son escouade plutôt que de jouer solo.

Plus symbolique encore, il est désormais possible de traîner ses camarades blessés à l’abri des balles, ce qui est à peu près inutile mais rappelle au joueur sinon tout-puissant que la guerre, ce ne sont pas que des méchants que l’on tue, ce sont aussi des amis que l’on perd.

L’histoire d’Américains fantasmés

On devine que c’est l’idée qui a présidé à toutes les réunions préalables au développement. Débarrassé des joujoux technos des épisodes précédents, comment, enfin, raconter la guerre à hauteur d’homme ? Et comment répondre en passant à ceux qui accusent Call of Duty d’être l’un des jeux les plus bêtes du monde ?

Même entre deux missions, ce nouveau Call of Duty ne parle que de ça : de camaraderie, de fraternité, d’héroïsme, d’hommes qui s’admirent, s’entraident, se sauvent les uns les autres, et quand ils sont odieux (le sergent Pierson), c’est pour de bonnes raisons. Le Débarquement, la libération de Paris par des résistants plus titis que nature, ou la pénible progression vers le Rhin à travers un hiver glacial… tout est prétexte à célébrer l’admirable effort collectif, comme la bravoure individuelle.

Dans « WWII », une Résistante nommée Rousseau libère Paris presqu’à elle seule. / Activision

Pourtant, au fond, Call of Duty ne raconte pas vraiment l’histoire d’hommes normaux : il raconte l’histoire d’Américains fantasmés. L’horreur du champ de bataille est loin, les conflits encore aseptisés. Derrière la volonté d’émouvoir, Call of Duty : WWII donne surtout l’impression de vouloir cocher les cases d’un cahier des charges sensibles en multipliant les hommages.

Le meilleur exemple : sa séquence d’introduction sur les plages de Normandie, qui tente visiblement de reproduire la stupéfaction ressentie en 2002 devant le Débarquement Allié de Medal of Honor, lui-même déclinaison du Soldat Ryan, le film de guerre de Steven Spielberg. D’accord, la deuxième guerre mondiale, la vraie, est bien au bout du raisonnement. Mais elle est loin. Un reflet de reflet, une copie de copie. Un souvenir.

Dire l’indicible

Une fois, pourtant, Call of Duty : WWII tente de raconter quelque chose de nouveau dans un jeu vidéo. Une séquence qui sert malheureusement d’épilogue et qu’il est difficile de décrire sans en « divulgâcher » la fin.

Disons simplement qu’à la faveur d’un rebondissement scénaristique un peu tiré par les cheveux, notre héros franchit finalement le Rhin et s’aventure dans ce que l’on devine (l’usure rend le panneau, a l’entrée, difficilement déchiffrable) être un camp de prisonniers.

La séquence est brève, et tranche par son calme sur la campagne qui s’achève alors. On n’y court pas, on n’y tire pas, on se contente d’errer entre les baraquements, le fusil pendant au bout du bras. Les conditions de détention, les potences, les pelotons d’exécution… L’horreur est tangible. Le camp est vide de soldats, vide de prisonniers, mais les trois ou quatre corps que l’on aperçoit au loin suffisent à évoquer avec une relative pudeur ce qu’il s’est passé ici.

Call of Duty se fait alors pédagogique, surimprimant des photos de camps à la vue de notre avatar, tandis qu’en voix off il décrit ce qu’il s’est passé ici. On ne sait pas très bien ce que cela vient faire dans le jeu, tant les événements qui ont conduit notre escouade ici semblent confus et forcés, comme si les développeurs s’étaient souvenus, in extremis, que la deuxième guerre mondiale, c’était aussi ça. Mais n’empêche, Call of Duty est sans doute le dernier jeu dont on aurait pensé qu’il essayerait un jour de dire l’indicible.

« Call of Duty WWII », ou le paradoxe d’un jeu qui tente de se prendre au sérieux tout en proposant un mode où il faut vaincre des vagues... de zombies. / Activision

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • Le retour des trousses de soin et d’un cadre historique, avec, à la clé, l’impression étrange de jouer à un jeu « à l’ancienne »
  • Quelques tentatives d’humaniser le propos
  • Entre deux missions, les cinématiques dignes d’un film de guerre

On a moins aimé :

  • Finalement toujours aussi pontifiant et plein de bons sentiments
  • Toujours le même principe du jeu de tir « couloir » qui interdit toute flânerie
  • Les phases en véhicule un peu envahissante

C’est plutôt pour vous si :

  • Vous avez lâché Call of Duty après qu’il ait abandonné la deuxième guerre mondiale
  • Vous êtes à la recherche d’une campagne solo un peu moins bébête que d’habitude
  • Vous êtes à la recherche d’un mode multijoueurs (de deux même, avec le mode « nazi zombies ») toujours aussi efficace. Presque un jeu à lui seul.

Cela n’est plutôt pas pour vous si :

  • Vous ne jurez que par les guerres modernes et futuristes
  • Vous n’aimez pas vraiment les jeux de guerre, à la réflexion

La note de Pixels

1930/1945