Documentaire sur France 3 à 23 h 35

C’est un aspect méconnu de l’histoire de France contemporaine que retrace ce documentaire. A partir de 1949 et pendant plus de quarante ans, une police privée en uniforme noir a surveillé de près les mineurs et leurs familles dans le Nord-Pas-de-Calais. Nom de code de ce groupe : SSB, pour « service de surveillance du bassin ». Ces hommes, souvent d’anciens militaires, ne descendaient pas au fond des mines. Mais dès que le mineur remontait à la surface, il pouvait avoir à rendre des comptes à cette police particulièrement vigilante sur les vols, les activités politiques, et sur le bon fonctionnement des cités où étaient logés gratuitement les mineurs et leurs familles.

Il existe très peu de documents filmés sur cette police d’un genre particulier, mais les auteurs de ce film ont retrouvé des images d’une étonnante parade de ces gardes dans les rues de Béthune, coiffés de képis semblables à ceux de la police républicaine.

A l’aide d’archives inédites filmées issues du Centre historique minier et de nombreux témoignages recueillis auprès d’anciens mineurs, de membres du SSB et d’historiens, Marion Fontaine et Richard Berthollet retracent cette période. Tout savoir sur tout le monde, telle était la mission des hommes du SSB, personnages centraux dans la vie quotidienne des mineurs et de leurs proches.

Un système perfectionné

Dès le XIXe siècle, du temps de Germinal, des gardes de mineurs existaient déjà. Nationalisées en 1944, les compagnies minières n’abandonnent pas leurs vieilles habitudes : au contraire, la surveillance devient un système perfectionné. Comment une entreprise d’Etat (les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais) a-t-elle pu développer une police privée au cœur de la République ?

Au sortir de la guerre, la France a besoin de charbon, de Gaulle rend hommage aux mineurs, et divers avantages (dont le logement et le chauffage gratuits) leur sont accordés. Mais le travail reste aussi dur et, en 1948, de violents affrontements ont lieu entre mineurs en grève et soldats. La peur du communisme hante les dirigeants des Houillères, qui mettent sur pied, dès janvier 1949, des brigades en uniforme quadrillant cinq secteurs, de Valenciennes à Lens. Leurs missions ? Eviter le vol de matériel, le braconnage, et veiller à la propreté des cités ouvrières, aux bonnes mœurs, à la sécurité. Ce pouvoir démesuré profite parfois de lettres de délation entre voisins. Le danger communiste est une obsession et les rapports méticuleux des gardes remontent à la police, à la gendarmerie, aux Renseignements généraux.

Gardes de la Compagnies des mines de Lens vers 1910. / D-VOX/PICTANOVO

A partir des années 1950, le danger communiste laisse la place à la surveillance vigilante des mineurs venus en masse d’Algérie. Juste après Mai 68, des militants maoïstes viendront sur place découvrir avec effarement cette surveillance qui mêle paternalisme et soumission. Le 12 décembre 1970, quelques jours après la catastrophe de Fouquières-lès-Lens, qui fit 15 morts parmi les mineurs, Jean-Paul Sartre participe à un tribunal populaire à Lens : « Il n’y a pas eu accident mais assassinat ! », clame-t-il. La dernière mine (à Oignies) a fermé en mars 1991. Les Houillères disparaissent, le SSB aussi. Etrangement, certains témoins se rappellent avec nostalgie cette période où, sous l’œil vigilant des gardes en noir, il y avait du boulot, de l’ordre et des fêtes dans les cités ouvrières de la région.

Sous l’œil des Houillères, de Marion Fontaine et Richard Berthollet (France, 2017, 52 min).