Béatrice Laurent-Bonneau, / Insa Toulouse

Béatrice Laurent-Bonneau, directrice du département mathématiques de l’INSA Toulouse, explique pourquoi le manque d’attractivité du Capes ou de l’agrégation en mathématiques est sans conséquence sur le niveau français.

Alors que l’école de mathématiques française est régulièrement distinguée par des prix internationaux, les candidats manquent aux concours du Capes ou de l’agrégation. Pensez-vous que des filières qui suscitent plus d’appétence, notamment les écoles d’ingénieurs, dénudent les voies universitaires ?

Beaucoup d’opportunités se sont ouvertes en mathématiques, et depuis plusieurs années, notamment dans le secteur de la science des données et tout ce qui touche au traitement des données massives. Ces filières que nous proposons sont particulièrement attractives pour les jeunes scientifiques, elles ouvrent les portes à de nombreux emplois dans des secteurs très variés. Dans le même temps, la filière universitaire a également des parcours d’ingénierie à finalité professionnelle qui n’ont aucun mal à recruter de très bons étudiants. Mais, en effet, les filières Capes et agrégation ne sont pas suffisamment attractives. Les étudiants sont aujourd’hui plus intéressés par des carrières dans le secteur privé.

Comment expliquez-vous le manque d’attractivité du métier d’enseignant ?

Le salaire n’est pas incitatif et les jeunes professeurs sont souvent envoyés enseigner dans les endroits les plus difficiles. Parallèlement, avec une formation en mathématiques, le secteur privé offre des opportunités d’emploi intéressantes et croissantes.

Est-ce que cette désaffection pour l’université peut nuire à l’excellence française en mathématiques ?

La plupart des mathématiciens français distingués par des prix internationaux sont passés par l’Ecole normale supérieure de Paris (ENS) après une classe préparatoire. Les filières sélectives attirent toujours beaucoup d’étudiants. Le souci, c’est peut-être l’attractivité des universités qui sont généralement classées dernières dans les vœux des lycéens, alors qu’elles ont également des filières intéressantes et qui mènent à l’emploi.

Toutefois, n’existe-t-il pas un risque d’appauvrissement du flux d’étudiants qui seront demain les grands mathématiciens formés en France ?

Les classes préparatoires n’ont aucun problème à recruter les meilleurs élèves et le prestige de l’ENS lui garantit également d’attirer une certaine élite. Néanmoins, de nombreux établissements d’enseignement supérieur sont contraints actuellement de geler des postes, et il est de plus en plus difficile pour un jeune docteur d’être recruté sur un poste d’enseignant-chercheur après sa thèse, ce qui conduit certains à partir à l’étranger ou à prendre un poste dans le privé.

Avez-vous été témoin d’une baisse du niveau des lycéens à la sortie du secondaire ?

Effectivement, il y a eu une réduction du programme en mathématiques au lycée qui a obligé des écoles d’ingénieurs à renforcer les mathématiques au cours des premières années. Nous avons constaté un décalage entre le niveau des étudiants à leur arrivée et le niveau attendu pour suivre nos formations. D’autant qu’en fin de cursus nous avons besoin de compétences de plus en plus pointues pour rendre opérationnels des jeunes gens dans des métiers de plus en plus exigeants et de plus en plus techniques.

Ce qui manque de plus en plus dans le secondaire, c’est la connaissance des métiers des mathématiques, même si de plus en plus d’actions de communication sont menées auprès des lycéens par des enseignants du supérieur en étroite collaboration avec leurs collègues du secondaire. Bien que la matière ait une place centrale depuis les petites classes, les lycéens ont un peu de mal à imaginer les possibilités qu’ils peuvent s’ouvrir en se spécialisant dans cette discipline, alors qu’ils visualisent les carrières qu’ils feront en intégrant médecine.