Le président américain, Donald Trump, le 25 octobre, et le président nord-coréen, Kim Jong-un, le 15 avril. / EVAN VUCCI, WONG MAYE-E / AP

Le dossier nord-coréen est le sujet central de la visite de douze jours en Asie du président américain, Donald Trump, qui doit arriver à Pékin mercredi 8 novembre. Ces derniers mois, il a tour à tour évoqué l’option militaire et la possibilité d’un dialogue avec Pyongyang. Pour le politologue Cheong Seong-chang, spécialiste de la Corée du Nord à l’institut Sejong de Séoul, les gesticulations de M. Trump ne font que justifier la quête de la dissuasion nucléaire de Kim Jong-un.

Donald Trump aime à rappeler que « toutes les options sont sur la table » face à la Corée du Nord, c’est-à-dire aussi l’option militaire. Celle-ci est-elle réaliste ?

C’est une approche tout à fait irréaliste. Les Etats-Unis ont une capacité extraordinaire de renseignement. Si Trump le décide, les Etats-Unis peuvent éliminer Kim Jong-un et presque tous les chefs militaires nord-coréens d’un seul coup, car ils connaissent leur localisation et leurs mouvements. L’élimination de Kim Jong-un n’est pas du tout un problème pour la technologie américaine. Mais les Etats-Unis ne pourraient pas contrôler la situation ensuite. On l’a déjà vu en Irak, où Saddam Hussein a été éliminé sans que cela mette un terme à la guerre, ou encore en Libye après l’élimination de Mouammar Kadhafi. Les chefs militaires qui survivraient pourraient attaquer la Corée du Sud. Et on ne pourrait empêcher la résistance de l’armée et celle de la population.

Certains chercheurs envisagent l’option de frappes ciblées sur les sites de tir de missiles. Qu’en pensez-vous ?

Il y a une décennie, les Etats-Unis étaient déjà dans l’incapacité de frapper la Corée du Nord. Sous George W. Bush, l’option d’une attaque contre la Corée du Nord avait été étudiée mais se révélait impossible, car on ne sait pas où la Corée du Nord cache ses armes. Il y a beaucoup de tunnels, d’installations souterraines, donc on ne pouvait pas détruire 100 % des capacités avant une riposte. Dix ans plus tard, c’est devenu encore bien plus difficile.

Les Nord-Coréens savent donc que les gesticulations américaines sont sans consistance…

La Corée du Nord a procédé, en septembre, à son sixième essai nucléaire, et je pense que Kim Jong-un va continuer à tester des missiles de longue portée. Il ne va pas s’arrêter là, car il veut absolument avoir à sa disposition des missiles intercontinentaux. Je pense que les Etats-Unis tenteront un jour d’abattre des missiles nord-coréens, mais ils ne pourront pas aller plus loin, et la Corée du Nord le sait bien. En pratique, les Etats-Unis ont peu d’options.

Lorsque M. Trump menace, en septembre, à la tribune des Nations unies de « totalement détruire » la Corée du Nord, quel est l’impact à Pyongyang ?

Les menaces du président Trump permettent à Kim Jong-un de justifier sa politique, sa quête de la force nucléaire, elles justifient de procéder à des tirs d’essai de missiles intercontinentaux vers le Pacifique [puisque le pays est menacé]. Même si Trump ne tenait pas ce discours, la Corée du Nord lancerait de toute manière des missiles intercontinentaux, sur le fond, ça ne changerait pas. Mais elle peut aujourd’hui présenter son action comme légitime du fait du discours de Trump.

Qu’est-ce qui est de nature à influer sur les choix de la Corée du Nord ?

Ce que la Corée du Nord craint le plus, ce ne sont pas les Etats-Unis, mais la Chine. Jusqu’ici, la Chine s’est opposée à l’arrêt total des livraisons à la Corée du Nord de pétrole brut, mais si Pékin devait le décider, Pyongyang serait contraint de changer sa politique. Il y a déjà eu du changement côté chinois ces derniers mois : la Chine a accepté de limiter le nombre de travailleurs nord-coréens accueillis sur son sol et de diminuer, pour la première fois, ses exportations de pétrole à son voisin. Mais comme la Chine et la Corée du Nord ont longtemps été alliées et que beaucoup de Chinois ont payé de leur vie durant la guerre de Corée, Pékin ne peut pas abandonner Pyongyang d’un seul coup. Il y a un changement, mais il est lent et graduel.

Certains considèrent que quelles que soient les pressions qu’exerce la Chine, la Corée du Nord n’abandonnera jamais la voie nucléaire, parce que Kim Jong-un la voit comme une assurance-vie pour ne pas finir comme Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi. Considérez-vous, de votre côté, que le pétrole est de nature à le faire évoluer ?

Tout à fait. Le pays dépend principalement du charbon pour son énergie, mais l’armée, elle, est dépendante du pétrole. Parce qu’on ne fait pas voler des avions de combat et circuler des chars au charbon. Pour l’industrie, pour les usines, pour la population, c’est le charbon qui prévaut. Mais pour l’entraînement de l’armée, il faut absolument du pétrole. Si vous ne conduisez pas un véhicule durant des mois, que se passe-t-il ensuite ? Il ne roule plus. On estime que les réserves de pétrole de l’armée sont de seulement deux ou trois mois. La Corée du Nord n’a pas beaucoup de réserves, et si la Chine lui fermait les vannes, c’est l’armée qui serait le plus touché. Or, elle est une importante base de soutien pour Kim Jong-un. Si le mécontentement devait monter chez les généraux, leur loyauté à Kim Jong-un, et donc l’autorité du dirigeant, s’en trouveraient sérieusement affectées.