Une photo datant de 2012 figurant le roi Salman et son fils Mohammed Ben Salman. / Hassan Ammar / AP

Il y a moins de trois ans, l’Arabie saoudite était une monarchie pléthorique et consensuelle, où le roi, issu d’une succession adelphique (de frère en frère) était obligé de composer avec des princes, aussi nombreux que riches et puissants. Aujourd’hui, le royaume des Saoud est en passe de devenir un royaume autoritaire, celui de Mohammed Ben Salman, prince héritier et fils du roi Salman, arrivé au pouvoir à la mort de son demi-frère Abdallah en janvier 2015. Alors que la santé de son père est chancelante, « MBS », surnom du prince héritier, qui a déjà bénéficié d’un bouleversement de l’ordre dynastique en sa faveur, prépare activement la succession.

La vaste campagne d’arrestations lancée samedi 4 novembre en Arabie saoudite entre dans ce cadre. Une cinquantaine de personnalités, dont onze princes et quatre ministres, seront déférées devant la justice pour « corruption ». Le procureur général a averti que d’autres inculpations suivraient.

Dans un pays où le budget de l’Etat et la cassette professionnelle de la famille royale se confondent, la lutte contre la corruption, invoquée pour mener cette purge, n’est évidemment qu’un prétexte. Elle permet surtout d’écarter les gêneurs et ceux qui ont pu exprimer des réticences face à l’ascension éclair de Mohammed Ben Salman, âgé de seulement 32 ans et sans formation de haut niveau ni expérience du pouvoir, contrairement aux usages en cours jusqu’à présent dans le royaume.

Faire vibrer la fibre populiste

La recette a déjà fait ses preuves en Russie, où Vladimir Poutine a embastillé les oligarques qui ne lui avaient pas fait allégeance à son arrivée au pouvoir, tout comme en Chine, où Xi Jinping a mis au pas les « princes rouges » et les différentes factions au sein du Parti communiste, grâce à une grande campagne de « moralisation » de la vie publique. « MBS », lui aussi, cherche à faire vibrer la fibre populiste au sein de son opinion en lançant cette croisade contre les « corrompus ».

Il avait entamé cette campagne de relations publiques à l’égard de la frange la plus progressiste de la société saoudienne – et des Occidentaux – en autorisant les spectacles et la mixité dans son pays, puis en permettant aux femmes de conduire (à partir de juin 2018) et enfin en annonçant haut et fort sa volonté de promouvoir un islam éclairé. Des prises de position courageuses dans un royaume sous l’emprise d’un clergé ultraconservateur marqué du sceau du wahhabisme.

Mais la campagne anticorruption qui vient d’être déclenchée est d’une autre nature : ce séisme politique, à l’échelle du royaume, dénote une volonté de pouvoir hégémonique et sans frein dans un pays qui est encore jeune et qui ne compte aucun contre-pouvoir.

Le soutien affiché par Donald Trump à la purge en cours ne peut qu’encourager le prince héritier saoudien à accélérer la cadence. Elle est pourtant déjà vertigineuse, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, avec la guerre au Yémen, lancée en 2015, et la confrontation avec l’Iran chiite, qui connaît des sommets inédits, notamment depuis la démission samedi – semble-t-il sous la contrainte – du premier ministre libanais, Saad Hariri.

Le risque d’une sortie de route est désormais sérieux, dans un pays qui possède les premières réserves mondiales de pétrole et dont 75 % de la population est âgée de moins de 30 ans.