Documentaire sur Arte à 22 h 25

L'utopie des images de la révolution russe - Extrait 3
Durée : 01:25

A l’heure où les commémorations des bouleversements qui marquèrent la Russie en 1917 se multiplient, il est bon de se souvenir que, sans attendre 1927 et les dix ans du coup d’Etat d’octobre qui porta au pouvoir les bolcheviks, la célébration de la Révolution rouge s’opéra dès 1925. En prélude à la diffusion du Cuirassé Potemkine, du jeune prodige de 27 ans Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (1989-1948), Arte offre un formidable documentaire de Thomas Cheysson sur la folle décennie où le cinéma russe fit sa révolution avant une mise sous le boisseau aussi logique que funeste dans une URSS stalinienne.

Pour phénoménal que soit le choc du film d’Eisenstein, il a toutefois été préparé par le prodigieux foisonnement que connaît le 7e art dès la chute de l’ancien régime. Non que les nouveaux maîtres qui entendent ouvrir une ère nouvelle aient à cœur de mener une révolution artistique. Rien n’est prévu. Et du coup le cinéma s’y réinvente libre de toute censure comme de tout dogme à respecter. L’heure est à l’audace et à l’imagination. Sans frein ni contrôle.

LES POISSONS VOLANTS

Si le poète Vladimir Maïakovski se fait aussitôt le chantre de toutes les audaces, signant lui-même un drame expressionniste, La Demoiselle et le Voyou (1918), où il assume la coréalisation, le scénario comme le rôle principal, l’homme fort de ces moments de liberté totale est Lev Vladimirovitch Koulechov (1899-1970).

Non seulement ce décorateur compense la pénurie de pellicule par une expérimentation magistrale du montage et une foi dans l’image qui transcende le manque de moyens, mais il subjugue par sa science du casting, son travail sur le cadre et, bientôt, les plans en une seule prise de sa farce Les Aventures extraordinaires de Mr West au pays des bolcheviks (1924).

De l’atelier Koulechov sortent des acteurs dont rien ne rappelle le jeu de leurs prédécesseurs et dont l’engagement et la grâce font le prix du provoquant Trois dans un sous-sol (1926), de Abram Room (1894-1976), ou de La Fille au carton à chapeau (1927), comédie tendre et lyrique de Boris Barnet (1902-1965).

Si le retour en Russie de vieux maîtres comme Yakov Protazanov (1881-1945), qui propose une fable de science-fiction où la révolution prolétarienne s’exporte sur Mars (Aelita, 1924), montre que chacun joue l’innovation, le documentariste Dziga Vertov (1896-1954) prône un cinéma-vérité d’une force stupéfiante qui vaut charte philosophique.

L'utopie des images de la révolution russe - Extrait 3
Durée : 01:25

Durant une décennie, témoignant de la réalité quotidienne d’un pays où les difficultés liées à la pénurie et aux troubles politiques et sociaux n’entame pas l’appétit pour une nouvelle donne tant éthique qu’esthétique, acteurs et cinéastes russes – beaucoup s’essaient successivement aux deux rôles –, non sans jouer des codes venus d’outre-Atlantique, témoignent d’un monde nouveau en train de naître.

Malheureusement, au moment où la technique autorise la parole au cinéma, le pouvoir soviétique, inquiet de cette effervescente liberté, la bâillonne. Et la police du commissaire Boris Zakharovitch Choumiatski (1886-1938) ira jusqu’à s’acharner contre Eisenstein, revenu en URSS, et son Pré de Béjine, partiellement détruit avant même son achèvement en 1937. Si le génie sut plaider sa cause auprès de Staline et échapper aux purges, Choumiatski n’eut pas ce talent. Mais le mal était fait et la parenthèse enchantée de l’utopique liberté des années 1920 plus qu’un refuge pour cinéphiles.

L’Utopie des images de la révolution russe, de Thomas Cheysson (Fr., 2017, 60 min).