Maxime Jouet / DR

En ce 9 novembre, Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, nous publions le témoignage de Maxime Jouet, étudiant en DUT de chimie à l’université de Poitiers et passionné d’audiovisuel. En un an, son projet de court-métrage contre le harcèlement a fédéré d’anciennes victimes, des professionnels du cinéma et divers partenaires.

Témoignage. « T’es nul (le) », « pousse-toi de là », « personne ne veut de toi ici », « sale pute », « boloss »… Ces paroles me désolent. C’est malheureusement le quotidien de plus de 700 000 élèves au cours de leur scolarité, du fait de harceleurs. Mais le problème ne vient pas uniquement de là, il vient de nous tous. Nous ne sommes pas « neutres », nous avons tous des yeux pour voir les violences qui se passent dans notre quotidien. Chacun d’entre nous peut agir, pour soi, mais surtout pour les autres. C’est ce que je voudrais essayer de montrer, à travers un projet de court-métrage que je porte depuis plus d’un an.

J’avais déjà tourné un petit film sur le sida, en 2015, qui s’appelait Le VIH n’est pas faible, à l’occasion de la Semaine européenne du dépistage. Réalisé avec un petit Reflex et un groupe d’amis, il avait finalement été diffusé par France 3 dans ma région. Il avait eu du succès, et cela m’a encouragé pour me lancer dans un nouveau projet, sur un autre sujet qui me tient à cœur : le harcèlement scolaire. Lorsque j’étais collégien, j’ai assisté à plusieurs scènes de harcèlement, et je n’ai rien fait. En grandissant, j’ai vu ces scènes se reproduire sur de nouvelles personnes, et j’ai pu constater l’impact que ça pouvait avoir : perte de l’estime de soi, désinvestissement scolaire, baisse des résultats, absentéisme voire dépression menant jusqu’au suicide. C’est surtout le décès de Marion Fraisse qui a été un déclic pour moi. Elle s’était suicidée dans sa chambre, en 2013, et avait pendu son téléphone pour montrer que les réseaux n’étaient pas si « sociaux ».

Dans la peau d’une personne harcelée

Je ne voulais pas faire une vidéo de prévention, mais une œuvre cinématographique originale, en travaillant l’histoire, les émotions et l’image. Et ensuite me servir de ce film pour faire de la prévention. Mais on peut difficilement parler de harcèlement scolaire lorsqu’on n’en a pas été victime. J’ai réalisé un gros travail de recherche, rencontré des psychologues, des majors de la gendarmerie nationale, et je me suis entouré d’anciennes victimes. Deux d’entre elles seront les acteurs principaux du film : l’un a été moqué l’année dernière car il est homosexuel, l’autre a subi un harcèlement de la 6e à la 3et a fait deux tentatives de suicide. Je me suis même mis dans la peau d’une personne harcelée, mais j’ai rapidement arrêté, cela pesait sur mon moral au quotidien… J’ai dû mettre ce projet en suspens pour respirer un peu et me remettre les idées au clair.

J’ai présenté une première version du scénario au festival international de Contis. Discuter avec des producteurs et des réalisateurs m’a conduit à presque tout réécrire : cela reste l’histoire de Marion – dont la vie se transforme en enfer, entre rejet, hostilité et violences – et de son ami Matteo, qui tente de lui apporter son soutien. Mais j’ai introduit des changements de points de vue, qui permettent au spectateur de se sentir impliqué : il verra certaines choses que Matteo ne verra pas, et Matteo en verra d’autres que le spectateur ne verra pas. J’espère susciter le débat.

Au tout début, j’avais l’intention de faire un petit projet, avec de petits moyens comme pour ma précédente vidéo. Mais tout a changé quand un cadreur que j’avais rencontré sur un tournage où j’étais régisseur m’a rejoint. Il m’a fait rencontrer celui qui est devenu mon directeur de la photographie. Tous deux m’ont incité à travailler avec une équipe et du matériel de professionnels. Grâce à leurs contacts et l’aide de divers médias, je me suis retrouvé au bout de quelques semaines avec une équipe de vingt pros, tous prêts à venir bénévolement pour le tournage. Parmi eux, il y a des « cadors » du cinéma français, à l’image du compositeur et orchestrateur Sylvain Morizet, qui a notamment contribué à la BO du film Valérian, de Luc Besson.

Ne pas décevoir

J’étais un peu surpris et ne savais pas tellement comment réagir. Je n’ai que 18 ans et n’avais jamais dirigé une aussi grande équipe. Tout le projet repose sur mes épaules, ce qui est parfois dur à accepter. On doute, on a peur de faire mal, on se demande si ça vaut vraiment la peine. 10 000 € sont en jeu, ce n’est pas beaucoup pour un tournage, grâce aux bénévoles, mais il faut tout de même louer les caméras RED, l’éclairage, la machinerie, défrayer les participants pour leurs frais de transport, les loger et les nourrir. Je ne dois pas décevoir nos partenaires et les institutions qui nous aident : j’ai reçu des bourses ou aides du Crédit mutuel, de l’Ordre national du Mérite, du département de la Vienne. Nous attendons un retour de la région Nouvelle-Aquitaine. Et nous avons aussi des sponsors locaux qui, en échange d’un placement de produit, contribuent financièrement. Je me dis toutefois que si autant de monde nous soutient, c’est que le projet vaut le coup.

Nous terminons la phase de préproduction, et allons attaquer le tournage en avril. Ce court-métrage va être diffusé dans des festivals, puis dans les collèges et lycées de la Vienne, lors de ciné-débats. Nous aimerions aussi qu’il passe à la télévision, pour toucher un maximum de monde. J’espère que ce film aura un impact plus fort auprès des jeunes, du fait de mon âge. Et j’espère aussi montrer que les préjugés sur les jeunes ne sont pas fondés. Qu’il s’agisse de moi ou d’un groupe de 12-25 ans que j’accompagne sur un autre projet de vidéo de prévention, non, notre génération ne pense pas qu’à soi. On se bouge pour faire avancer les choses, on se bat pour nos rêves, on est motivé… On a des yeux comme vous, on voit que le monde va mal, et on essaye justement de le rendre meilleur, avec nos moyens.