Une page se tourne pour toutes les personnes – les journalistes, en particulier – qui décortiquent les chiffres du chômage fournis par Pôle emploi et par les services du ministère du travail. Depuis des années, ces données font l’objet d’une publication mensuelle de treize pages, remplies de tableaux et de courbes, avec quelques lignes de commentaires et des rappels sur les sources, les définitions, les méthodes de recension…

A partir de début 2018, ce document sera élaboré et mis à disposition chaque trimestre. Un ralentissement dans le rythme de diffusion qui est justifié par le fait qu’il vaut mieux raisonner en tendances, sur trois mois au moins, plutôt que de scruter les statistiques mensuelles, celles-ci étant très volatiles et, du même coup, pas toujours pertinentes pour comprendre ce qui se passe sur le marché du travail.

« Yo-yo »

Ce changement a été annoncé, jeudi après-midi, lors d’une conférence de presse, par Selma Mahfouz, la responsable de la Direction des études du ministère du travail (Dares), et par Stéphane Ducatez, en charge des statistiques chez Pôle emploi. Pour étayer leurs propos sur la versatilité des chiffres, ils ont cité l’exemple de l’année 2016 : au cours de cette période, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) avait diminué de plus de 100 000 mais il n’avait cessé de faire le « yo-yo », avec cinq mois de hausse et sept mois de recul.

Le fait de rendre trimestrielle la publication de Pôle emploi et de la Dares survient après d’autres modifications de même nature apportées en 2016, sur le conseil de l’Autorité de la statistique publique (ASP) : à l’époque, avaient été introduites, dans le document de treize pages, des données sur les évolutions trimestrielles.

Les préconisations de l’ASP sont approuvées par de nombreux économistes, qui considèrent que s’exprimer sur les indicateurs de Pôle emploi, au mois le mois, n’a guère de sens. D’autant moins que ceux-ci sont très sensibles à des règles, qui varient assez régulièrement, et aux comportements des chômeurs. Ainsi, les inscrits à Pôle emploi sont invités, chaque mois, à mettre à jour leur dossier, faute de quoi ils disparaissent des listes ; s’ils sont relancés plus énergiquement que les mois précédents, ils peuvent être plus nombreux à faire le nécessaire pour garder la qualité de demandeur d’emploi, ce qui a pour effet d’accroître les effectifs. Un tel événement s’est d’ailleurs produit en mai 2015. Le ministre du travail de l’époque, François Rebsamen, avait plaidé pour que l’on change de baromètre, et que soient désormais privilégiées les statistiques de l’Insee, jugées plus robustes. Mais son vœu n’avait pas été exaucé.

Changer les usages

Pour sa part, l’actuelle ministre du travail, Muriel Pénicaud, avait indiqué, à la fin mai, soit quelques jours après son entrée au gouvernement, qu’elle ne porterait aucune appréciation sur les chiffres mensuels de Pôle emploi, car ils peuvent être pollués « par différents événements de nature administrative ». Ces indicateurs brouillent « plus qu’il[s] n’éclaire[nt] les tendances de fond sur le niveau de chômage », avait-elle argumenté, dans un communiqué. Désormais, des « rendez-vous » sont organisés chaque trimestre, au ministère du travail, pour analyser les « cinq faits saillants de la conjoncture du marché du travail en France des trois derniers mois ».
L’annonce, jeudi, de nouveaux changements s’inscrit dans cette continuité. A l’avenir, le document de treize pages, coréalisé par la Dares et par Pôle emploi, publiera, tous les trois mois, donc, le nombre moyen de demandeurs d’emploi sur le trimestre. Cependant, les séries mensuelles, actuellement diffusées, continueront d’être mises en ligne tous les mois, aux mêmes dates qu’aujourd’hui. Ainsi, toutes les informations resteront à la portée du public, a fait valoir Mme Mahfouz. Mais les données mensuelles seront présentées sommairement, à travers des alignements et des cascades de chiffres, au lieu d’être mises en forme dans un document bien structuré. Le but est aussi de transformer, petit à petit, les usages des journalistes – et de les amener à traiter les données trimestrielles, au détriment de celles qui sortent chaque mois. Reste à savoir maintenant si ceux-ci prendront le pli…