Le Kenya proteste, la Tanzanie s’entête. Au cœur de la brouille diplomatique qui agite depuis plusieurs jours l’Afrique de l’Est : du bétail. Fin octobre, environ 1 300 vaches kényanes qui avaient passé la frontière tanzanienne dans la région Masai ont été confisquées par les autorités tanzaniennes et emmenées à Moshi, près d’Arusha. Les éleveurs, des habitants de Loitokitok, une bourgade des contreforts du Kilimanjaro, n’ont pu s’acquitter de l’amende exigée, à la suite de quoi une juridiction tanzanienne a ordonné la mise aux enchères de leurs vaches.

La ministre kényane des affaires étrangères, Amina Mohamed, a appelé au dialogue avec les Tanzaniens et convoqué l’aide de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC), à qui elle a envoyé une « note de protestation », dans le but de désamorcer le conflit. Et de rappeler que les éleveurs de la région, « des cousins », franchissent régulièrement, dans les deux sens, la frontière tracée sur ces terres. « Ils ont fait ce qu’ils font depuis toujours, traverser la frontière pour chercher des pâturages, c’est un comportement normal », a déclaré Amina Mohamed, mercredi 8 novembre, lors d’une conférence de presse, soulignant que les éleveurs n’avaient commis aucun « crime ».

Le président tanzanien, connu pour ses positions tranchées, n’est pas du même avis. John Magufuli a estimé que cette décision ne faisait que s’inscrire dans le cadre de la loi tanzanienne. « Ceux qui se faufilent avec leur bétail dans ce pays ne seront pas épargnés, nous confisquerons ce bétail et leur ferons [subir] ce que prévoit notre loi », a insisté le président tanzanien, enjoignant même le Kenya, sans le nommer directement, de « faire de même si du bétail tanzanien est retrouvé sur [son] territoire ».

Plus de 6 000 poulets abattus

Ces déclarations suivent de quelques jours seulement l’annonce de l’abattage, en Tanzanie, de plus de 6 000 poulets provenant du Kenya en raison de craintes sanitaires. Dans son édition de jeudi, le quotidien kényan Daily Nation s’alarme de l’impact de ces événements sur les efforts de coopération entre les deux pays, tous deux membres prédominants de l’EAC, l’une des entités régionales les plus intégrées du continent.

« Ces actions violent clairement l’accord sur le marché commun qui permet la libre circulation des biens et des personnes dans la région et que les deux pays ont ratifié », déplore le Daily Nation dans son éditorial, ajoutant que, selon les règles de l’EAC, les contrôles, sanitaires notamment, ont la même valeur dans tous les pays membres : « Cette prise de bec illustre un problème bien plus profond entre les deux pays. Il y a de la défiance et de la tromperie dans cette relation. »

Cet épisode, qui pourrait sembler anecdotique, ravive les tensions entre les deux voisins, dont la relation s’est dégradée depuis l’accession au pouvoir en 2015 de John Magufuli. « Son arrivée a été marquée par un changement de tendance dans les relations entre le Kenya et la Tanzanie, estime une source kényane active dans le conseil aux entreprises au niveau régional. Outre l’aspect politique, car M. Magufuli est vu comme un proche de l’opposition kényane, il a surtout une approche assez batailleuse et a remporté certains succès vis-à-vis Nairobi, comme le pipeline ougandais, un jalon extrêmement important. » Le projet visant à exporter le pétrole de Kampala a échappé au Kenya, qui voulait le faire passer sur son sol, au profit de la Tanzanie qui est en passe de le finaliser.

Début 2017, ces rapports tendus ont notamment débouché sur une série de moratoires. La Tanzanie avait interdit les importations de lait et de cigarettes provenant du Kenya, tandis que ce dernier avait proscrit la farine de blé et le gaz de cuisine issus de l’autre coté de la frontière. Il avait fallu un dialogue direct entre les présidents Uhuru Kenyatta et John Magufuli pour mettre fin à ces moratoires, en août.

Contacté jeudi, le ministère kényan des affaires étrangères affirme que des discussions sont « en cours », sans qu’aucune rencontre formelle ne soit convenue à ce stade.