L’univers « Star Wars » continue de s’étendre. / Disney

La sortie d’un nouveau Star Wars est-elle encore un événement ? Si au moment de l’annonce de Star Wars VII, la réponse était assurément positive, il risque de devenir de moins en moins aisé de répondre par l’affirmative. Jeudi 9 novembre, The Walt Disney Company a officialisé, coup sur coup, une nouvelle trilogie – la quatrième, alors même que la troisième n’en est qu’à son second film – et une nouvelle série dans l’univers de Star Wars, franchise rachetée à son créateur, George Lucas, en 2012.

Le moment choisi pour ces annonces peut étonner. En levant le voile sur les projets à long terme de la compagnie à tout juste un mois de la sortie du film Les derniers Jedi, Disney prend le risque de minimiser son impact médiatique – si tant est que minimiser la sortie d’un Star Wars soit possible. Mais cette annonce-là s’adressait moins aux fans que d’habitude. « Il faut tenir compte du côté industriel, rappelle David Peyron, auteur de Culture Geek (FYP Editions, 2013). Il faut rassurer les investisseurs et les actionnaires. Disney est devenu aujourd’hui un tel monstre en quelques années seulement qu’il y a toujours besoin de relancer la machine. »

De fait, cette annonce s’est faite en marge de la présentation du rapport fiscal annuel de Disney, conclu par un chiffre d’affaires colossal de 12 779 milliards de dollars, mais toutefois jugé décevant, et en repli de 3 % par rapport à l’année fiscale 2015-2016. Celle-ci avait été marquée par le succès de La Reine des neiges et le phénomène… Star Wars VII.

Eclatement de la bulle des superhéros

Avec cette nouvelle annonce, « ils ont rappelé aux investisseurs qu’ils ont ces marques fabuleuses et qu’ils misent dessus, ils prennent le problème à bras-le-corps, estime Robin Diedrich, analyste d’Edward Jones & Co, cité par Business Day. L’investisseur à plus long terme sera à l’aise avec plusieurs années d’investissements et des revenus assez stables. »

Par ailleurs, la déclinaison massive de l’univers Star Wars permettrait au géant de tenter de prévenir l’éclatement de la bulle des superhéros au cinéma, que l’on prédit depuis quelques années mais qui n’est toujours pas survenue. Les héros de Marvel Entertainment, racheté en 2009 par Disney, représentent une part considérable des revenus du groupe. L’entreprise a exploité intensivement le catalogue, y compris en piochant parmi des héros peu connus du très grand public.

La compagnie Disney est coutumière des annonces à long terme et des « plans quinquennaux » de sorties cinématographiques. Il lui est arrivé de publier des calendriers de films Marvel s’étalant sur de très nombreuses années, sans guère de précisions et sans même garantir la sortie des films. Se gardant ainsi le droit de revoir sa stratégie au gré des succès au box-office.

Les nouvelles annonces de Disney s’inscrivent, par ailleurs, dans un contexte où le géant du divertissement travaille sur une plate-forme concurrente de Netflix, à l’horizon 2019. Date à laquelle l’actuel leader de la vidéo en streaming n’aura plus les droits de diffusion des films et séries Marvel et Star Wars. Le lancement d’une nouvelle série dans l’univers de La Guerre des étoiles n’est pas innocent. « Il y a un modèle Netflix qui a explosé ces dernières années, et, comme pour une console de jeu vidéo, avoir du contenu exclusif est aujourd’hui essentiel », estime M. Peyron.

Plus loin de George Lucas

« Le Réveil de la Force », le septième épisode de la série « Star Wars », a été un immense succès commercial. / Film Frame / AP

Jusqu’où ira désormais Disney avec Star Wars ? Dès 1980, alors même que L’Empire contre-attaque, le deuxième film de la série, n’était pas encore en salles, George Lucas avait annoncé que sa saga s’étendrait sur neuf longs-métrages. En reprenant le flambeau de la troisième trilogie, Disney s’inscrivait dans la continuité de la vision originale du cinéaste, à qui elle a racheté les droits en 2012. En poussant l’univers jusqu’à douze films (hors épisodes satellites comme Rogue One), la « firme aux grandes oreilles » s’en extrait désormais.

« Autant pour George Lucas, en tant que personne, qu’artiste, il pouvait y avoir une logique à clore son œuvre. Mais pour Disney, qui gère un objet et non une œuvre, il n’y a pas de raison que cela s’arrête », souligne David Peyron. Il note d’ailleurs une différence fondamentale avec un autre univers en phase d’expansion : Harry Potter. Warner Bros., qui produit ces films, « ne se permettrait jamais d’aller contre J. K. Rowling [l’auteure de Harry Potter], qui a une image et un contrôle très fort sur son œuvre ».

Cela ne signifie pas pour autant que Disney puisse tout se permettre. A défaut d’appartenir à George Lucas, Star Wars appartient au moins un peu, ne serait-ce qu’à titre symbolique, à ses fans, qui revendiquent un droit de regard important sur la franchise. George Lucas lui-même a été moqué dans une vidéo à 26 millions de visionnages sur YouTube pour les modifications très décriées qu’il a apportées à l’épisode original dans sa version remastérisée.

« Le public peut se lasser »

Etendre à nouveau la saga, la structure de la franchise s’y prête, avec son fil rouge très fin (l’affrontement entre les Jedi et les Sith), qui offre à chaque nouvel épisode la liberté d’introduire de nouveaux personnages, de nouvelles planètes, de nouvelles créatures et de nouveaux vaisseaux, qui, au passage, seront autant de nouveaux supports de merchandising.

De ce point de vue, Star Wars est la franchise idéale pour Disney : un matériau perpétuellement enrichissable. C’est dans cette perspective que le géant américain développe par ailleurs plusieurs spin-off, films dérivés de Star Wars. Le tournage du film sur la jeunesse de Han Solo vient par exemple de s’achever. Quant à Rogue One, un épisode à part qui inquiétait les fans, il a généré plus d’un milliard de dollars de recettes dans le monde. Un modèle qui avait déjà souri à Disney avec Marvel. L’exploitation intensive du catalogue de la marque de comics lui a permis de réaliser de superbes opérations commerciales.

« Toute l’ambiguïté de ce type d’univers, c’est qu’il est fait pour être étendu, il s’y prête. Mais il y a le risque d’arriver à des incohérences, voire à du trop-plein, rappelle M. Peyron, qui évoque la menace de la saturation. Le public peut se lasser. A un moment donné, il va y avoir une crise, mais cela peut être dans très longtemps. Ils doivent être prudents et ne pas tuer la poule aux œufs d’or. »