« King Kong » version 2017 a été remise au goût du jour, abordant des sujets de l’Afrique du Sud actuelle. / DANIEL RUTLAND MANNERS/THE FUGARD THEATRE

Dans l’Afrique du Sud des années 1930, Ezekiel Dlamini, surnommé « King Kong », est un prodige de la boxe promis à une carrière internationale. Il tombe amoureux de la belle Joyce, la tenancière d’une taverne du bouillonnant township de Sophiatown, à Johannesburg. Cette passion emportera le champion dans une spirale tragique – prison, alcool, gangs – et mènera le couple à sa perte. Voici l’intrigue de l’opéra jazz King Kong, la première comédie musicale noire d’Afrique du Sud datant de 1959, qui a été récemment ressuscitée par une troupe du pays, le Fugard Theatre. Jouée à Johannesburg jusqu’au 8 octobre, King Kong retourne au Cap de décembre à mars 2018, avant de probablement s’envoler pour une tournée internationale.

La version originale, avec Miriam Makeba

Le retour de la pièce à l’affiche des théâtres a été source de nombreux commentaires dans le pays. Et ce à cause du succès, aussi phénoménal qu’inattendu, que King Kong avait connu dans l’Afrique du Sud de l’apartheid (200 000 spectateurs à l’époque). Le spectacle s’était même exporté à Londres. Et c’est dans le West End qu’avait démarré la carrière internationale de la chanteuse Miriam Makeba, l’interprète de Joyce, au moment même où elle était contrainte à un exil, dont elle ne reviendra que trente ans plus tard. En 1959, à Johannesburg, la soirée d’ouverture avait suscité l’euphorie d’un public multiracial.

Ecrite par des Blancs et jouée par des Noirs, « King Kong » se démarquait de la politique raciale en vigueur en Afrique du Sud depuis 1948.  Ici, le spectacle joué en 1959, avec la chanteuse Miriam Makeba (à g.). / CAPTURE D’ÉCRAN WEB/THE FUGARD THEATRE

Avec une équipe créative composée de Blancs, et, pour la première fois, un générique d’acteurs noirs, l’œuvre montrait que Noirs et Blancs pouvaient travailler ensemble, et prenait le contre-pied de la politique de l’apartheid, en vigueur depuis onze ans déjà. Présent à la première, Nelson Mandela y vit une référence aux « procès de trahison » des leaders anti-apartheid, alors en cours. L’année suivante, la brutalité du régime sud-africain sera révélée aux yeux du monde entier, avec le massacre de Sharpeville, où la police tira sur des manifestants, puis l’interdiction de l’ANC, le parti de Mandela.

KING KONG - Coming soon to Joburg Theatre
Durée : 00:43

La nouvelle mouture, dirigée par le metteur en scène anglais Jonathan Mumbi, est l’aboutissement d’une bataille de vingt ans menée par le producteur sud-africain Eric Abraham pour racheter les droits. Saluée par la critique, cette résurrection fait honneur à la version originelle, tout en s’imprégnant de modernité. « L’enjeu n’est pas tant de rejouer la même pièce, mais de la recréer », confie Nondumiso Tembe, l’interprète de Joyce et fille du célèbre chanteur d’opéra Bongani Tembe.

Les thèmes abordés par la comédie musicale King Kong évoquent aussi et surtout l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. « Je suis vraiment désolée de vous raconter la fin, mais la question du féminicide ne pourrait pas être plus pertinente alors que la violence conjugale est aujourd’hui une épidémie dans notre pays », détaille la comédienne.

Pour beaucoup, l’ascension et la chute du personnage principal, champion poids lourd, se lisent comme une métaphore tragique de l’Afrique du Sud.

Alors que Joyce, la seule femme qu’il ait jamais aimée, le rejette pour finir dans les bras du gangster responsable de son incarcération, King Kong la poignarde avant de se suicider en prison. Un meurtre qui résonne avec un autre féminicide célèbre, et d’actualité : celui commis par Oscar Pistorius en 2013, le soir de la Saint-Valentin, sur sa compagne Reeva Steenkamp. L’athlète paralympique, condamné à une peine d’emprisonnement de six ans ferme, est d’ailleurs retourné début novembre au tribunal pour d’énièmes péripéties juridiques d’un procès qui tient en haleine le pays.

Pour beaucoup, l’ascension et la chute du personnage principal, champion poids lourd, se lisent comme une métaphore tragique de l’Afrique du Sud. Un pays à l’extraordinaire potentiel mais où gangsters et corrompus ont pris le dessus, comme l’illustre la multitude de scandales qui entache l’actuel président Jacob Zuma. Cette désillusion, King Kong la met en scène dans un cadre effervescent, avec un rythme soutenu et beaucoup de swing.