Véronique Roger-Lacan est ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de l’OSCE depuis septembre 2015. / François Bouchon/Le Figaro

On la distingue au premier coup d’œil parmi les ambassadeurs siégeant aux réunions du conseil permanent de l’OSCE, à Vienne. « Ce n’est pas aussi multiculturel qu’à l’ONU, je suis la seule ambassadrice qui ne soit pas blanche », décrit Véronique Roger-Lacan. A 53 ans, elle incarne la France, depuis 2015, auprès de ce bébé de la guerre froide qu’est l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, née d’une agence créée en 1973 pour faciliter le dialogue entre l’Ouest et l’Est, et qui regroupe le Canada, les Etats-Unis, l’Islande, la Norvège, l’Union européenne, la Turquie, la Mongolie et les pays issus de l’ex-URSS. Autant dire que, après l’annexion illégale de la Crimée par Moscou en 2014 et le coup d’Etat avorté en Turquie en juillet 2016, les dossiers y sont lourds et le tact de mise.

« Je représente la France, je suis une femme et je suis d’origine asiatique. Cela étonne de prime abord mais une fois la surprise passée, le dialogue s’établit rapidement. »

L’Europe centrale et orientale n’est pas un terrain d’action acquis aux diplomates occidentaux. Les populistes au pouvoir dans la région sont souvent machistes. Ils tiennent un discours volontiers excluant et réducteur. En Russie, on dépénalise les violences conjugales. En Hongrie, on évoque l’immigration comme étant un poison. L’Autriche s’apprête, de nouveau, à accorder des portefeuilles ministériels à l’extrême droite et, partout ou presque, le pouvoir est incarné par des hommes mettant en scène une conquérante virilité. Pas de quoi effrayer Véronique Roger-Lacan, qui plaide au niveau mondial pour une plus large ouverture aux femmes des métiers de la diplomatie. Le 8 novembre, elle a proposé à trente ambassadrices en poste à Vienne de créer une association de parrainage d’apprenties diplomates. Objectif : faire émerger des talents dans les pays où des destins comme le sien relèvent encore de la chimère.

« Je suis d’origine indienne. Plus jeune, on a pu me prendre pour la réceptionniste lorsque j’ouvrais la porte de chez moi », raconte en riant cette native du Vietnam, issue d’une famille pondichérienne, française depuis 1880, appartenant à la caste des guerriers, et de parents professeurs globe-trotteurs. Diplomatie oblige, elle feint toujours de ne pas relever les remarques désobligeantes. « Je représente la France, je suis une femme et je suis d’origine asiatique. Cela étonne de prime abord mais une fois la surprise passée, le dialogue s’établit
rapidement. »
Dans quelques cas, c’est pourtant difficile. « Certains militants musulmans se montrent par exemple ulcérés quand ils dénoncent un racisme institutionnel dont seraient victimes leurs pairs en France, alors que je défends une conception universaliste des droits de l’homme et le droit individuel afférent à la liberté de religion. Face à moi, leurs discours ne tiennent plus la route. »

Goût pour les situations de crise

Sa vocation, elle dit l’avoir trouvée en Ethiopie. Ses parents étaient en poste au lycée français d’Addis-Abeba et, en 1974, la ville était en pleine révolution. « Des fenêtres de l’établissement, on voyait les émeutiers armés de fourches prendre d’assaut le palais impérial. Nous sommes restés trois jours enfermés dans les classes et cet épisode a sans doute alimenté mon goût pour les situations de crise. »

Après avoir passé toute son enfance dans des valises d’« expat » et effectué des études de droit international public et d’hindi dans l’Hexagone, Véronique Roger-Lacan a entamé sa carrière à l’ONU. Elle s’est occupée de réfugiés cambodgiens et birmans en Thaïlande. Puis, elle est allée sur des terrains de guerre en Bosnie et a travaillé pour l’OTAN, avant d’être propulsée dans les ministères français. « J’étais conseillère pour les affaires internationales au cabinet du secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence, Xavier Emmanuelli, se rappelle-t-elle. J’étais complètement hors cadre, au milieu des énarques. Au ministère de la défense, j’étais entourée de militaires et j’avais des contacts permanents avec le Quai d’Orsay. Le ministère des affaires étrangères m’a ensuite recrutée afin que je m’occupe notamment de la crise en Afghanistan. » En 2015, elle devient la première femme issue de la diversité à être nommée ministre plénipotentiaire, et donc à intégrer un des plus prestigieux corps de fonctionnaires, comparable à celui des préfets.

« Ma fille frissonne quand elle me voit en mission avec un gilet pare-balles au Sahel ou ailleurs, mais j’ai toujours aimé le risque. » Colonel de la réserve citoyenne de l’armée de l’air, souvent sur le front en Ukraine, parce que l’OSCE surveille les accords de cessez-le-feu dans ce pays, elle projette de repartir sur des terrains de guerre « dès que [ses] enfants seront tout à fait autonomes ». Elle s’active aujourd’hui pour que d’autres femmes puissent embrasser cette carrière.