Jenny Holzer

« Abuse of power comes as no ­surprise » (« l’abus de pouvoir n’est pas une surprise »). Cet aphorisme cinglant est devenu le cri de ralliement de Not surprised (« pas surprises »), un mouvement lancé le 30 octobre dans la presse par plus de 7 000 femmes pour dénoncer le harcèlement sexuel dans le milieu de l’art.

Cette déclaration lapidaire reprend l’un des plus fameux « truismes » que l’artiste américaine Jenny Holzer, à la fin des années 1970, a photolithographiés sur des feuilles de papier. Elle les collait ensuite sur les murs et les cabines téléphoniques de New York, inventant un art de rue philosophique et intrigant.

A l’époque, Jenny Holzer imagine des dizaines d’autres phrases chocs : ­ « L’action cause plus de problèmes que la pensée », « L’amour romantique a été inventé pour manipuler les femmes », « La révolution commence par des changements dans l’individu ». Cherchant à atteindre un large public, elle multiplie les supports où inscrire ses phrases – tee-shirts, autocollants, affiches.

« L’abus de pouvoir n’est pas une surprise » : ce « truisme » de l’artiste new-yorkaise Jenny Holzer, créé à la fin des années 1970, a été reproduit sur des tee-shirts. / Jake Forney

En 1982, le Public Art Fund parraine l’installation d’un énorme panneau électronique au-dessus de Times Square, au cœur de Manhattan, où ses truismes apparaissent toutes les quarante secondes. La consécration. Depuis, les écrans urbains et les projections lumineuses sur des façades sont restés le support de référence de l’artiste, devenue, après Andy Warhol, la figure de proue d’un pop art conceptuel qui détourne l’affichage publicitaire.

Dans un stade de baseball de Buffalo (Etat de New York), en 1991 / Tom Loonan

En 2004, une flottille d’avions tirant des bannières frappées de truismes survolait la rivière Hudson, à l’initiative de l’association artistique new-yorkaise Creative Time.

A son tour, le mouvement Not ­surprised s’est donc emparé du slogan. Sous son nom, plasticiennes, conservatrices, galeristes, éditrices, parmi lesquelles, outre Jenny Holzer, figurent plusieurs artistes emblématiques de l’art contemporain (Laurie Anderson, ­Tania Bruguera, Barbara Kruger, Cindy Sherman), ont signé une lettre ouverte dénonçant les abus de pouvoir et de position associés à des demandes sexuelles : « Nous ne sommes pas surprises lorsque des conservateurs offrent des expositions ou du soutien en échange de faveurs sexuelles. Nous ne sommes pas surprises lorsque les galeristes idéalisent, minimisent et cachent des comportements sexuellement abusifs envers les artistes qu’ils représentent. Nous ne sommes pas surprises quand une rencontre avec un collectionneur ou un client potentiel devient une proposition sexuelle », déclinent-elles.

L’initiative est partie d’un groupe de femmes à la suite de la démission, le 25 octobre, du codirecteur du magazine Art Forum, Knight ­Landesman, après la plainte d’une ancienne employée pour harcèlement. D’après celle-ci, huit autres femmes, ces dernières années, auraient été harcelées par cet homme contre la promesse d’un avancement. Le truisme de Jenny Holzer, en exergue au texte « Not surprised », a été repris des dizaines de milliers de fois sur ­Instagram.

Le 30 octobre, l’une des signataires de la lettre, l’artiste américaine d’origine cubaine Coco Fusco, a décrit dans le ­Huffington Post les rapports de pouvoir qui règnent dans le milieu artistique : « Le problème, c’est que le monde de l’art est en grande partie une industrie sans règles. Le plus souvent, les affaires s’y traitent lors d’événements conviviaux ou en tête à tête. (…)Tant que des nuées d’artistes en difficulté ne reculeront devant rien pour réussir, il sera très difficile d’éliminer les moyens problématiques d’avancement personnel. » Elle non plus n’est pas surprise.