« Haw-bi » (« vache noire »), la première opération militaire labellisée « G5 Sahel », s’achève samedi 11 novembre. Depuis le début du mois, la nouvelle force conjointe de la région s’est lancée dans un contrôle de zone, aux trois frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, là où sévissent les djihadistes d’Ansaru. Les trois pays ont mobilisé ensemble 700 hommes dans ces confins où, pour mieux traquer les groupes armés, ils s’étaient déjà accordé un droit réciproque de poursuite sur 50 km à l’intérieur des frontières de chacun. Aujourd’hui, avec la Mauritanie et le Tchad, les deux autres partenaires du G5, ils veulent aller bien plus loin, sous le commandement du général malien Didier Dacko.

Les conditions logistiques de ces armées restent éminement précaires, mais l’énergie et la volonté d’avancer sont là. Et « Haw-bi », qui fut d’abord une opération de communication fortement médiatisée, a réussi la démonstration qui s’imposait face à des bailleurs internationaux tatillons – à ce jour, les 450 millions d’euros nécessaires à la force conjointe ne sont pas là.

« Haw-bi a révélé de vraies difficultés »

Certes, l’adversaire a été prévenu, et il a esquivé les troupes d’« Haw-bi ». L’opération française « Barkhane » lui a, en outre, fourni le soutien essentiel – les transmissions, le renseignement technique, l’appui aérien, les moyens d’évacuation médicale. Quand, mercredi 8 novembre, depuis le tout nouveau PC conjoint de Niamey sentant encore la peinture fraîche, un colonel-major nigérien a dressé un premier bilan, il n’a rien caché : « Retards dans la logistique. Difficultés de mise en œuvre des moyens de transmissions. Centre de commandement pas totalement fonctionnel. Difficultés pour les moyens aériens car toutes les demandes, en couverture des troupes ou en renseignement, n’ont pas abouti. »

Le général Dacko est parfaitement lucide : « Haw-bi a révélé de vraies difficultés ». Jeudi 9, à N’Djamena, il a conclu devant ses pairs des cinq pays : « L’opération ne visait pas essentiellement des résultats tactiques, elle était très importante pour sa valeur de test de nos capacités communes de planification, de nos manques ».

Le QG de la force s’installe, à Sévaré, au centre du Mali. Une bonne moitié de ses officiers a été désignée. Seule la Mauritanie refuse de les fournir pour l’heure, exigeant au préalable que les financements internationaux promis arrivent. Côté financement, 24 millions d’euros d’aide européenne, soit 50 % des promesses, ont été engagés, tandis que la France a livré des véhicules et des équipements, l’Allemagne payant des infrastructures.

Un « concept d’opérations », la doctrine militaire de la force, est en passe d’être rédigé, avec une priorité : « Affaiblir les groupes armés terroristes ». Dominés par le nouveau Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans du chef Iyad ag-Ghali, ces derniers rassemblent à peine plus de 500 combattants dans le Sahel, selon le renseignement français. Cela est suffisant pour déstabiliser des Etats corrompus et harceler des populations abandonnées. « Nous étions plus en sécurité en 2012, c’est malheureusement la réalité », indique à Bamako Jean-Nicolas Marti, délégué du CICR au Mali. « Sans la présence de Barkhane et de la Mission de l’ONU au Mali [Minusma] la situation serait beaucoup plus compliquée, mais l’ampleur de ces forces ne changera pas le fond du problème qui est social et politique. »

La force conjointe va se concentrer sur la sécurisation des frontières, où se retranchent groupes armés, trafics et tensions rebelles

Dans la foulée d’« Haw-bi », la force conjointe va se concentrer sur la sécurisation des frontières, où se retranchent groupes armés, trafics en tous genres et tensions rebelles. Attaques de casernes et d’écoles, rançonnage des éleveurs, pose généralisée d’engins explosifs artisanaux… « Les menaces basculent d’un point à l’autre de la région, nous devons sécuriser en même temps l’ouest et l’est. La force conjointe, c’est l’opportunité d’avoir un allié qui puisse répondre de part et d’autre de la frontière », estime le général-major Oumarou Sadou, chef de l’armée du Burkina Faso. Dans ce pays, selon les rapports militaires, la situation s’est beaucoup dégradée depuis le troisième trimestre 2017.

« La situation impose des décisions urgentes pour rendre la force opérationnelle », a noté, jeudi à N’Djamena, le patron de l’armée tchadienne, Brahim Mahamat Seid. Ce qui est prévu au printemps 2018. Le prochain déploiement est déjà planifié, à la frontière entre la Mauritanie et le Mali. Le général Dacko souhaite, en outre, agir davantage en début d’année dans le « fuseau centre » du G5, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Au total, cinq opérations seront programmées d’ici à l’été 2018.

« La perception des menaces est partagée par tout le monde, dans le G5 il n’y a plus de voisins, nous sommes tous pareils », assure le général Dacko. L’ambition est d’occuper plus durablement le terrain. « Il s’agit d’occuper la zone, de marquer la présence de l’Etat, avec des troupes permanentes, pour dissuader », espère le général Seyni Garba, le chef d’état-major nigérien. « Cela démarre bien. Dans un deuxième temps seulement viendra le temps des vraies opérations antiterroristes », pense le général Bruno Guibert, commandant de la force « Barkhane », dont le retrait dépend, à terme, des progrès politiques et militaires du G5 Sahel.

Les pièges, cependant, ne manquent pas pour la jeune force conjointe. La France souligne celui de « la perte de cohésion de la coalition ». Il lui faudra en effet « continuer de réfléchir à cinq tout en menant des opérations à deux ou à trois ».

Un autre piège serait de voir la force entraînée dans l’écheveau des rebellions et des luttes communautaires propres à chacun des pays de la région. Les chefs militaires sahéliens insistent sur leur volonté de séparer les problématiques nationales du traitement des menaces extérieures. Mais qu’il relève de l’Etat islamique au Grand Sahara ou d’Al-Qaida, l’ennemi commun emballé sous l’appellation de « groupes armés terroristes » est loin d’être chimiquement pur. Des responsables de « Barkhane » soulignent ainsi au Mali la « porosité croissante entre les groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015 et les groupes terroristes dans le nord du pays, où l’on ne sait plus qui est qui ».

Dérive bureaucratique

« La force est orientée vers la lutte contre le terrorisme, pas les confits insurrectionnels », affirme Didier Dacko. Dans le centre du Mali, par exemple, le Front de libération du Macina menace d’entraîner les Peuls : « Agir sur les frontières permettra d’isoler cette zone, et de faire comprendre aux combattants que c’est peut-être la seule portion du territoire qui leur est réservée », estime le général. Au Burkina, la rébellion du département du Soum, au Nord, pose problème. « Pour nous, tous les groupes armés qui sont à nos frontières et viennent mener des actions contre nos populations sont à combattre. Ensuite, au nord du Burkina, la complexité est plus grande. La population sait qui est l’ennemi », souligne le général Sadou.

Le pragmatisme des accords militaires à cinq dans lequel émerge, fragile, cette force africaine conjointe est peut-être son bien le plus précieux. Un autre risque est apparu jeudi, lors de la réunion des chefs d’état-major du G5 qui s’est tenue à N’Djamena : celui d’une dérive bureaucratique, poussée par les donateurs internationaux. Alors que la moitié des fonds de l’UE ne sont toujours pas engagés, ses représentants ont d’ores et déjà exigé « une force irréprochable dans son comportement », des formations de la troupe aux droits de l’homme, et « une composante police et justice », renvoyant les chefs militaires à d’innombrables groupes de travail à Bruxelles.

De son côté, le secrétariat général du G5 veut imposer un « groupe de soutien » pour « la gouvernance » de la force. L’ONU, par ailleurs, n’a pas intérêt à voir la Minusma dégarnie de ses bataillons sahéliens. Une nouvelle conférence des donateurs se tiendra à Bruxelles le 14 décembre.