Accusée de subversion et d’insulte envers Mugabe, la journaliste américaine Martha O’Donovan risque vingt ans de prison. / Tsvangirayi Mukwazhi/AP/Sipa.

« Nous sommes dirigés par un homme égoïste et malade. » Ce Tweet, agrémenté d’un photomontage suggérant que le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, apparaissait en public affublé d’un cathéter, a valu à la journaliste américaine Martha O’Donovan d’être emprisonnée le 3 novembre à Hararé. Libérée sous caution depuis, elle est poursuivie pour « subversion, tentative de renversement du gouvernement et insulte au président », et risque vingt ans de prison.

Sauf que la jeune femme nie tout, jusqu’à être à l’origine du Tweet. Pour preuve : le compte @matigary (ce compte semble ne plus exister…), avec à son compteur plus de 18 000 abonnés et 63 000 Tweet, a continué à gazouiller alors que la jeune femme était arrêtée. Les autorités, qui affirment être remontées jusqu’à l’adresse IP de son ordinateur pour expliquer qu’elle se cachait derrière ce compte non clairement identifié, risquent d’être la risée générale : même le juge s’est montré sceptique face aux arguments du parquet.

Procédures longues et épuisantes

Pour les soutiens de la jeune femme, rassemblés sur les réseaux sociaux sous le hashtag #FreeMartha, son arrestation est révélatrice d’un durcissement de la présidence incarnée par le plus vieux chef d’État toujours en exercice – et ce mercredi 15 novembre en résidence. A l’approche des prochaines élections prévues pour 2018, « Comrade Bob », 93 ans, dont trente-sept à la tête du Zimbabwe, a été investi par son parti, la Zanu-PF, pour concourir à sa réélection, en dépit de sa santé chancelante. Il comptait bien rendre son dernier souffle sur son fauteuil de président, et les pronostics sur sa mort prochaine sont depuis longtemps un sport national.

Arrivée au Zimbabwe en 2016, Martha O’Donovan travaille pour Magamba TV, un média sur Internet qui produit des émissions satiriques. « Cette arrestation marque le début d’un nouveau chapitre sinistre dans la répression qu’orchestre le gouvernement zimbabwéen contre la liberté d’expression, et le nouveau champ de bataille est les réseaux sociaux », a réagi Muleya Mwa-Nyanda, de l’ONG Amnesty International.

A l’œuvre, le tout nouveau ministère de la cybersécurité, mis en place en septembre, chargé de scruter Facebook et WhatsApp, dernière fenêtre de liberté pour les Zimbabwéens qui veulent exprimer leur exaspération. « Cela signifie que le gouvernement va utiliser le prétexte d’un Tweet, d’une publication sur Facebook, voire de propos perçus par ouï-dire, pour nous priver arbitrairement de notre liberté et nous imposer des procédures judiciaires longues et épuisantes », s’inquiète-t-on dans une tribune relayée par Magamba TV.

Dons de sous-vêtements usagés

Signe d’un climat de tension qui s’envenimait, ces dernières semaines, plus aucune critique n’était tolérée en public. Début octobre, le journaliste Kenneth Nyangani, du quotidien privé NewsDay, a été arrêté pour avoir rapporté que la première dame avait fait don de sous-vêtements usagés aux supporteurs du parti au pouvoir. Même les partisans de la Zanu-PF doivent prendre garde : début novembre, quatre ont été placés en détention pour avoir hué Grace Mugabe lors d’un meeting, ce qui a déchaîné la colère de son mari.

Réputée pour ses frasques et ses coups de sang, la première dame était jusqu’à mardi soir 14 novembre et le coup de force de l’armée favorite pour succéder au président dictateur, qui y voyait sans doute la meilleure manière de préserver les intérêts de sa famille une fois décédé. Le 6 novembre, il a limogé son vice-président, Emmerson Mnangagwa, un sérieux prétendant à sa succession, pour confier le poste à Mme Mugabe. L’éviction, brutale et humiliante, a mis au jour les profondes divisions du parti au pouvoir. Le chef des armées, le général Constantine Chiwenga, a menacé Mugabe d’intervenir si la purge contre les partisans du vice-président déchu se poursuivait, et a mis ses menaces à exécution.

Dans la nuit du mardi 14 novembre, l’armée a pris le contrôle de la capitale, tout en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’Etat et que le « camarade Robert Mugabe » restait au pouvoir. Une escalade d’événements que les Zimbabwéens se gardent bien désormais de commenter.

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Hararé s’est réveillée, mercredi 15 novembre, dirigée par des militaires qui ont pris le pouvoir dans la nuit, sous la direction du général Chiwenga, et placé le président Robert Mubgabe, 93 ans, en résidence surveillée.

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