En son temps, on ne trouva guère de monde, du moins dans la critique française, pour faire grand cas du Flingueur, deuxième film que l’Anglais Michael Winner réalisa avec Charles Bronson. L’acteur, dont l’accession au vedettariat avait commencé par le cinéma européen (Il était une fois dans l’Ouest, Le Passager de la pluie, Cité de la violence) va devenir une star hollywoodienne, après le succès du film puis, deux ans plus tard, de celui d’Un justicier dans la ville, du même réalisateur.

Sans doute qu’en d’autres temps, une œuvre telle que Le Flingueur eut été impossible à produire. Son minimalisme comportementaliste, son amoralisme froid, son dénouement noir et ironique n’étaient sans doute possibles qu’en un temps où les studios cherchaient à produire des titres susceptibles de maintenir dans les salles un public fuyant, constatant sa mutation sans forcément détenir la formule magique qui allait l’attirer à coup sûr. C’est l’époque du Nouvel Hollywood, un moment où une nouvelle génération de réalisateurs, de scénaristes, d’acteurs et de producteurs allait inventer un cinéma nourri, notamment, des motifs de la contre-culture.

Relation ambivalente et énigmatique

Le Flingueur, pourtant, ne participe pas de ce mouvement. Il en serait même plutôt idéologiquement opposé (le personnage principal énonce, entre autres choses, son mépris des hippies) tout en en empruntant un certain nombre de ficelles, comme en témoignent le psychédélisme furtif de la mise en scène de Michael Winner et l’apparente désinvolture vis-à-vis des conventions d’antan.

Bronson incarne Arthur Bishop, un tueur froid et méthodique au service de la mafia. Il entreprend de former à son métier Steven (Jan Michael Vincent), le fils d’un de ses amis qu’il a, par ailleurs, dû exécuter conformément aux instructions qu’il a reçues. Deux structures de récit se superposent : celle du tueur à gages solitaire en délicatesse progressive avec son commanditaire, et celle de l’initiation d’un personnage par un autre. Ici, le rapport filial est perverti par un sous-texte homosexuel, énoncé de façon consciente dans le scénario d’origine puis progressivement dissimulé tout en restant perceptible. C’est d’ailleurs dans cette stratégie de camouflage (Bronson n’aurait pas accepté de jouer un homosexuel) que se situe un des attraits du film, dans la construction d’une relation ambivalente et poétiquement énigmatique.

Brutalité reptilienne

Portrait d’un schizophrène paranoïaque, Le Flingueur pourrait se rapprocher du Samouraï, de Melville, si son personnage principal ne se distinguait de celui incarné par Delon par une description plus précise : il est amateur d’art et, surtout, le résultat d’un apprentissage douloureux, celui imposé par un père dont on découvre, au hasard d’une conversation, la cruauté. A cet égard, les figures paternelles évoquées par le film, celle du père de Bishop ou celle du géniteur de Steven McKenna, malfrat incarné par Keenan Wynn, soulignent de façon trouble à quel point les deux hommes sont les produits d’une généalogie pourrie. A l’abstraction melvillienne se substitue un behaviorisme à la fois opaque et précis. Le jeu de Bronson, exprimant, a minima, l’hypothèse d’une brutalité reptilienne rentrée, confère au personnage une épaisseur singulière et mystérieuse.

Wild Side propose une édition exemplaire du film dans un coffret DVD et Blu-ray nourri de tout un appareil critique : un livret rédigé par notre confrère Samuel Blumenfeld, un entretien avec Dwayne Epstein, un historien du cinéma auteur d’une biographie de Michael Winner. On trouve aussi, dans les suppléments, une interview audio de Monte Hellman qui devait, à l’origine, réaliser le film avant d’en être dessaisi. Ce mauvais souvenir semble toutefois avoir laissé peu de trace dans sa mémoire.

Le Flingueur
Durée : 00:35

Film américain de Michael Winner (1972) . Avec Charles Bronson, Jan Michael Vincent, Keenan Wynn. Edition collector DVD + Blu-ray Wild Side.