Monsieur le Premier Ministre,

Les 15 et 16 novembre 2017 se tient, à Rabat, la 13e édition de la Haute Commission mixte à laquelle vous participerez aux côtés d’hommes d’affaires français.

Nous, membres du Collectif international d’avocats en soutien aux prisonniers politiques de Gdeim Izik, souhaitons attirer votre attention sur la situation des dix-neuf détenus.

Nous ne reviendrons pas sur les conditions du procès en appel à l’issue duquel ils ont été condamnés à de très lourdes peines (vingt ans de prison à la perpétuité), peines prononcées à l’issue d’un procès inéquitable marqué, notamment, par l’exclusion violente des deux avocates françaises de la défense.

Aujourd’hui, les informations qui nous parviennent sur les conditions de détention des prisonniers sont alarmantes.

L’état de santé de plusieurs d’entre eux est très préoccupant, notamment parce qu’ils ne reçoivent plus les traitements médicaux adaptés à leurs pathologies : maladies cardiaques, maladies rénales, hypertension, asthme sévère, ainsi que de multiples pathologies résultant des tortures subies (rectorragie, douleurs à la plante des pieds, hypersensibilité des yeux).

Les prisonniers sont aujourd’hui encore soumis à des traitements inhumains et dégradants de la part des geôliers marocains. Plusieurs d’entre eux sont dorénavant détenus avec des prisonniers violents et craignent pour leur vie – nous nous interrogeons d’ailleurs sur les raisons de cette soudaine détention avec des criminels extrêmement violents.

Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, vous n’ignorez pas que le royaume du Maroc a été condamné par le Comité contre la torture de l’ONU pour avoir torturé et condamné sur la base d’aveux obtenus sous la torture Naama Asfari, l’un des dix-neuf prisonniers.

Nous vous rappelons également que Claude Mangin, femme de M. Asfari, est une ressortissante française qui se voit refuser l’accès au territoire du Maroc depuis un an et demi alors que son mari a été condamné à trente ans de prison. Le royaume du Maroc porte ainsi une atteinte constante et grave à son droit à une vie privée et familiale.

Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, nous ne doutons pas qu’à l’occasion de cette rencontre et sur la base de ce que vous qualifiez de « contexte de relation d’amitié exceptionnelle entre la France et le Maroc », vous, représentants de la France, ne manquerez pas d’évoquer la situation des droits de l’homme au Maroc, qui ne saurait être décorrélée de toute coopération diplomatique et économique.

Qu’à cette occasion, vous rappellerez au royaume du Maroc l’impérieuse nécessité d’accorder aux prisonniers politiques sahraouis un traitement digne et respectueux des droits humains, de les préserver de toute forme de torture et de traitements inhumains, et de leur assurer un accès effectif aux traitements médicaux indispensables à leur survie.

Condamner des êtres humains à une vie d’emprisonnement est une sentence suffisamment lourde. Tout autre traitement inhumain ou dégradant et toute mise en danger de la vie des détenus sont indignes des principes que la France entend défendre à travers le monde.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, l’expression de notre respectueuse considération.

L’affaire Gdeim Izik

Le 8 novembre 2010, les forces de l’ordre marocaines interviennent pour démanteler un camp de protestation sahraoui, à Gdeim Izik. Situé à 12 km d’Al-Ayoun, la ville principale du Sahara occidental annexé par le Maroc en 1975, celui-ci avait été édifié un mois plus tôt pour dénoncer les difficiles conditions de vie et avait compté jusqu’à 15 000 personnes. Les affrontements ayant accompagné l’évacuation furent les plus graves depuis le cessez-le-feu de 1991 : onze membres des forces de l’ordre marocaines et deux civils furent tués.

Arrêtés en 2010, vingt-cinq militants sahraouis, dont Naama Asfari, figure du droit à l’autodétermination, ont été condamnés par un tribunal militaire en 2013. Rejugés en 2016 par une juridiction civile, 23 ont été à nouveau condamnés à des peines allant de deux ans de prison à la perpétuité.
 

Les avocats membres du Collectif international de soutien aux prisonniers de Gdeim Izik sont María Dolores Bollo Arocena, université de San Sebastian, Matteo Bonaglia, barreau de Paris, Tewfik Bouzenoune, barreau de Paris, Nicolò Bussolati, barreau de Turin, Oscar Abalde Cantero, université de San Sebastian, Aline Chanu, barreau de Paris, Nicolas Cohen, barreau de Bruxelles, Emmanuel Daoud, barreau de Paris, Christophe Deprez, barreau de Bruxelles, Francesca Doria, barreau de Naples, Guerric Goubau, barreau de Bruxelles, Anis Harabi, barreau de Paris, Fabio Marcelli, Institut d’études juridiques internationales, Rome, Stéphanie Motz, barreau de Zurich, Ingrid Metton, barreau de Paris, Olfa Ouled, barreau de Paris, Christophe Petiti, barreau de Paris, Marie Roch, barreau de Paris, Thomas Schmidt, barreau de Dusseldorf, Dominique Tricaud, barreau de Paris, Véronique Van der Plancke, barreau de Bruxelles