Le 28 septembre à Paris, lors d’une manifestation pour la défense du pouvoir d’achat des retraités. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Pour la quatrième fois depuis septembre, la CGT organise, jeudi 16 novembre, une journée d’actions contre les ordonnances. Cette fois, la centrale de Montreuil a été rejointe par Force ouvrière (FO), une première depuis le début du quinquennat. Solidaires, la FSU et plusieurs organisations de jeunesse ont également appelé à descendre dans la rue. Jean-Pierre Basilien, expert des relations sociales pour le groupe de réflexions Entreprise & personnel, analyse le climat social de ce mois de novembre.

La présence de FO, jeudi, peut-elle changer la donne ?

Non, pas significativement. La mobilisation de FO est relative. On sait bien dans quel
contexte Jean-Claude Mailly [secrétaire général du syndicat] a été obligé de donner des gages de sa détermination à une fraction de son syndicat qui ne comprenait pas une attitude perçue comme trop complaisante par rapport au gouvernement et aux dispositions contenues dans les ordonnances. Il en a pris acte et a ponctuellement rejoint une mobilisation conduite essentiellement par la CGT avec le relais de Solidaires.

S’agit-il pour la CGT d’un baroud d’honneur avant la ratification des ordonnances par le Parlement dans les prochaines semaines ?

Tout cela va se poursuivre sur un terrain judiciaire mais c’est aussi la continuité des positions qui ont été prises dès l’origine par la CGT, qui a qualifié les ordonnances de « loi travail XXL ». Cela s’inscrit également dans la préparation des réformes à venir, que ce soit la négociation sur la formation professionnelle ou le dossier encore plus brûlant de la réforme de l’assurance-chômage. L’idée est de maintenir une forme de pression en espérant peser a minima sur le contenu des mesures.

Pourquoi les manifestations contre les ordonnances n’ont-elles pas pris jusqu’à présent ?

Ce n’est pas vraiment une surprise. Il faut rappeler que nous sommes encore très proches
de la présidentielle et des législatives. Le pouvoir politique peut se targuer d’une
légitimité acquise dans les urnes. Il a fait preuve également d’une grande détermination
devant les premières mobilisations. Tout le monde l’a bien intégré, tant du côté des
organisations syndicales que du côté des salariés. Chez ceux-ci, le sentiment dominant doit
être que se mobiliser n’a pas vraiment à ce stade d’efficacité.

Quelles seraient les conditions à remplir pour réussir une mobilisation comme celle-ci ?

Il faudrait déjà une unité syndicale. La CFE-CGC ne s’est pas jointe à cette journée d’action
bien qu’elle ait eu des positions extrêmement dures sur les ordonnances. La CFDT, la CFTC
et l’UNSA, qui ont des divergences profondes d’analyse sur la situation sociale et les enjeux,
non plus. Quant à FO, je l’ai dit, elle est sur une mobilisation ponctuelle qui prépare les
négociations à venir.

Il faudrait aussi un slogan, une banderole, qui permette aux gens de se retrouver quelle que
soit leur diversité. Ce n’est pas le cas. Là, on a un appel à une journée d’actions de militants.
Quand on regarde ce qui est dit dans le texte qui appelle à cette journée d’actions, on voit de
nombreux sujets de nature et d’enjeux disparates qui ne sont pas forcément très explicites
pour la plupart des salariés.

Beaucoup d’entre eux ont intégré le fait que le gouvernement est déterminé à faire aboutir ses réformes. Donc se mobiliser mais avec quel objectif ? Faire retirer les ordonnances ? Ça n’a pas beaucoup de sens. Peser sur les négociations à venir ?

Ceci pourrait en avoir mais c’est encore beaucoup trop tôt pour que ça puisse être un sujet sur lequel se mobiliser. Le contenu des réformes est encore trop imprécis. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des mécontentements et un ressentiment social. On voit bien que le président et sa majorité n’ont pas encore convaincu les Français sur leurs réformes.

Une mobilisation comme celle de 1995 est-elle encore possible aujourd’hui en France ?

Ça paraît très peu plausible cet automne pour les raisons que l’on vient d’évoquer mais on
ne peut jamais exclure l’hypothèse que, dans un climat qui serait dégradé, il puisse y avoir un
événement qui cristallise des mécontentements épars et conduise à des mobilisations
larges. En 2018, ce seront les 50 ans de Mai-68. La question de l’entrée à l’université et de
ce que d’aucuns appellent d’ores et déjà une sélection est potentiellement extrêmement
mobilisatrice dans toutes ces classes d’âge. Ça peut être un détonateur avec une capacité
d’entraînement. Le gouvernement le sait, en mesure le risque et sera très prudent sur ce
dossier. Le deuxième sujet qui est toujours fédérateur et qui peut entraîner des salariés un
peu dans la même logique qu’en 1995, c’est celui des retraites avec l’éventuelle remise en
cause des régimes spéciaux.

Comment interpréter les mots très durs de Jean-Luc Mélenchon à l’égard des syndicats ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces propos ne vont pas forcément faciliter le
rapprochement qui était déjà extrêmement difficile entre l’opposition politique qu’il incarne et le monde syndical. La CGT a bien fait comprendre qu’elle n’entendait pas se laisser
dicter son action par La France insoumise. La convergence apparaît encore plus difficile
aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a deux mois.