Le premier ministre libanais, Saad Hariri, que son pays considère comme retenu de force en Arabie saoudite depuis bientôt deux semaines, devrait arriver en France « ces prochains jours », selon l’Elysée, peut-être même avant samedi.

A l’origine de cette invitation, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, s’affirme toujours plus en médiateur dans la crise ouverte par la démission surprise, le 4 novembre, de M. Hariri – un geste apparemment imposé par le nouvel homme fort de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salman, dit « MBS ».

A défaut d’avoir obtenu le retour immédiat à Beyrouth du premier ministre démissionnaire, Paris espère calmer les tensions. Mais la crise est loin d’être finie.

  • Pourquoi cette initiative de Paris ?

Le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, et son homologue saoudien, Adel Al-Joubeir, le 16 novembre à Riyad. / FAYEZ NURELDINE / AFP

« Je me suis entretenu avec Mohammed Ben Salman et avec Saad Hariri, et nous sommes convenus que je l’invitais pour quelques jours en France avec sa famille », a expliqué le président français le 15 novembre à Bonn (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) en marge de la conférence de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur le climat. M. Macron a rappelé son souhait que la situation au Liban soit « pleinement pacifiée » et son attachement « à la stabilité et à l’intégrité territoriale » du pays.

Avant de se rendre en Inde, le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, s’est arrêté mercredi soir à Riyad, où il a dîné avec le prince héritier. Il a ensuite rencontré M. Hariri pour fixer les modalités de son séjour théoriquement provisoire dans la capitale française. L’objectif était de sortir de l’impasse, alors que la liberté de mouvement dont M. Hariri et les siens disposent à Riyad fait l’objet d’intenses spéculations.

Le président libanais, Michel Aoun, accuse les autorités saoudiennes de « détenir » le chef du gouvernement libanais. « Nous n’acceptons pas qu’il reste pris en otage pour une raison que nous ne connaissons pas », a affirmé, dans un communiqué, la présidence libanaise, dénonçant « une agression contre le Liban, son indépendance et sa dignité ». M. Aoun refuse d’accepter la démission de M. Hariri tant qu’il ne sera pas rentré à Beyrouth pour exposer les motifs de sa décision.

Paris s’était engagé dans la médiation après la rencontre, dans la nuit du 9 au 10 novembre, entre le prince héritier et M. Macron. « Nous sommes contre toutes les ingérences, insiste-t-on à l’Elysée. Il faut préserver à tout prix cette coexistence libanaise et que toutes les parties agissent de façon responsable dans cette phase de turbulences. »

  • Pourquoi Saad Hariri ne va-t-il pas directement à Beyrouth ?

Le premier ministre libanais, Saad Hariri, lors de son intervention télévisée, le 12 novembre. / Future TV / AP

L’important était de sauver la face des autorités saoudiennes. Avec sa démission, M. Hariri a dit vouloir dénoncer « la mainmise » de l’Iran sur le Liban mais aussi la politique de déstabilisation menée par ce pays dans toute la région avec son allié libanais, le Hezbollah. Ce discours narratif avait manifestement été dicté par les autorités saoudiennes, qui jugent M. Hariri trop accommodant avec le Hezbollah, pilier de son gouvernement.

Son retour direct à Beyrouth, même pour remettre formellement sa démission à M. Aoun, comme l’exige la Constitution, aurait été une humiliation pour Riyad. D’où ce compromis.

Mais si Paris répète vouloir « parler avec tout le monde », en tout premier lieu au Moyen-Orient, cet exercice devient de plus en plus difficile, vu le durcissement croissant du conflit entre Riyad et Téhéran.

Les tentatives de réchauffement des relations avec l’Iran patinent alors que le président français ambitionne toujours de se rendre à Téhéran pour jouer les médiateurs dans l’accord sur le nucléaire iranien remis en cause par Washington.

Riyad n’apprécie guère cette attitude et le fait sentir. La visite préparatoire de M. Le Drian dans la capitale iranienne, qui devait avoir lieu ces prochains jours, a été reportée. « Il vaut mieux avoir un tel dialogue en un moment qui maximise nos chances d’être entendus », explique-t-on dans l’entourage du ministre.

  • Comment la classe politique libanaise réagit-elle ?

Les réactions sont majoritairement positives, même si chaque camp interprète cette sortie de crise à l’aune de ses propres intérêts. Le quotidien Al-Akhbar, porte-voix du camp pro-Iran et pro-Hezbollah, clame en « une » que « les Saoudiens ont perdu » et stigmatise « la folie » de Mohammed Ben Salman.

Le correspondant d’Al-Akhbar à Paris, Mohamed Ballout, se félicite dans son article qu’« Aoun et Macron aient libéré le premier ministre ». Une façon de suggérer que le durcissement de ton de M. Aoun, qui a dénoncé, mercredi 15 novembre, « l’agression » saoudienne, la « captivité » de M. Hariri et évoqué une possible saisie du Conseil de sécurité des Nations unies, a contribué au déblocage.

Si le traitement passablement humiliant que les dirigeants saoudiens ont infligé à M. Hariri l’a transformé, du jour au lendemain, en héros de la rue libanaise, M. Aoun, en refusant d’emblée sa démission, perçue comme un diktat de Riyad, a bénéficié, lui aussi, d’un regain de popularité. « En faisant obstacle au plan saoudien, Aoun est devenu le père de la nation », souligne Ali Mourad, professeur de droit public à l’université arabe de Beyrouth.

De l’autre côté du spectre politique, le quotidien prosaoudien An-Nahar, acquis au camp du 14 mars, dont M. Hariri est le chef de file, a applaudi lui aussi la médiation française, mais en affirmant qu’elle « court-circuite l’escalade aouniste de confrontation ». Le quotidien francophone L’Orient-Le Jour présente pour sa part le président français comme le « deus ex machina », qui aurait trouvé « la formule magique », permettant de dénouer la crise sans causer trop de dégâts.

  • Saad Hariri a-t-il encore un avenir politique ?

Saad Hariri, le 20 octobre 2016. / HUSSEIN MALLA / AP

M. Macron a insisté sur le fait que l’exfiltration de M. Hariri vers la France ne constituait pas un exil. Il a assuré que le dirigeant du Courant du futur pourrait regagner Beyrouth par la suite pour « y confirmer sa démission, si tel est effectivement son choix ».

Mais la capacité de M. Hariri à capitaliser sur la vague de sympathie dont il jouit aujourd’hui pour revenir sur le devant de la scène politique ne dépend pas que de lui. « Les Saoudiens ont un problème avec lui, fait remarquer Maha Yehya, directrice du centre d’analyse Carnegie à Beyrouth. Nous ne savons pas ce que prévoit à son sujet l’arrangement qu’ils ont conclu avec Macron. »

En l’état actuel des choses, il semble difficile d’imaginer que le prince héritier Mohammed Ben Salman, artisan de la brutale disgrâce de M. Hariri, soit prêt à lui donner une nouvelle chance. Sans le soutien de Riyad, M. Hariri peut toujours revenir dans le jeu politique libanais. Mais il risque d’être condamné à jouer les seconds rôles. « C’est parce qu’il était vu comme l’homme des Saoudiens que Saad Hariri avait une place importante sur la scène internationale », observe Ali Mourad.

Le caractère imprévisible de la direction saoudienne, incarnée par l’impulsif « MBS », laisse toutes les hypothèses ouvertes. « Le scénario le plus probable, avance Maha Yehya, c’est qu’Hariri revienne à Beyrouth, confirme sa démission, soit désigné pour former un nouveau gouvernement, mais qu’il n’y parvienne pas et qu’il reste en place comme premier ministre intérimaire jusqu’aux élections du printemps. »

  • Quelle suite pour le face-à-face entre l’Arabie saoudite et l’Iran ?

La prochaine étape est la réunion d’urgence des ministres des affaires étrangères de la Ligue arabe, dimanche au Caire. Elle a été demandée par l’Arabie saoudite, à la suite du missile balistique tiré le 4 novembre contre Riyad par les houthistes, les rebelles yéménites pro-iraniens. Le pouvoir saoudien veut profiter de cette plate-forme pour dénoncer l’ingérence de Téhéran dans les affaires des pays arabes du Proche-Orient, notamment la Syrie, le Yémen et le Liban.

Le langage qui sera employé dans le communiqué final et le nombre de pays qui choisiront de l’endosser donneront une idée des intentions de « MBS » et du soutien dont ce prince particulièrement aventureux dispose dans la région.