Un élément du fuselage de l’A380 à Gimont, commune rurale de 3 000 habitants, où le fabricant historique d’avions Latécoère a transféré en 2002 une partie de sa production de haute technologie, jusque-là enclavée en centre-ville de Toulouse. / Claire Legros LE MONDE

Renversé sur sa chaîne de fabrication, le tronçon de fuselage ressemble à un vaste auvent. Dans quelques semaines, il partira en convoi exceptionnel vers Saint-Nazaire pour être arrimé au nez d’un Airbus A380. A quelques dizaines de mètres, des techniciens assemblent la porte d’un Boeing cargo 777, « la plus grosse porte d’avion au monde », s’exclame, enthousiaste, Pierre-Yves Mourcet, le directeur du site.

Nous ne sommes pas à Toulouse, capitale aéronautique, mais à Gimont, bastide gersoise fondée en 1265. C’est dans cette commune rurale de 3 000 habitants, patrie de la comtesse du Barry et rendez-vous hebdomadaire d’un « marché au gras » réputé, que le fabricant historique d’avions Latécoère a transféré en 2002 une partie de sa production de haute technologie, jusque-là enclavée en centre-ville de Toulouse.

Communauté de destins

Depuis dix ans, Toulouse gagne près de 6 000 habitants chaque année. Une attractivité liée en grande partie à son histoire industrielle. Pour la géographe Magali Talandier, auteure d’une étude publiée en 2014 sur les flux entre territoires productifs et résidentiels, la Ville rose se classe aussi au premier rang des métropoles qui ont su embarquer leurs territoires dans leur sillage. « Il existe une forte communauté de destin entre Toulouse et ses alentours, d’abord grâce à l’économie résidentielle, explique la géographe. L’ensemble du territoire offre une qualité de vie à tout âge, y compris pour les retraités qui quittent la ville mais restent dans la région. Ce n’est pas le cas partout : Strasbourg et Lille sont des villes qui redistribuent peu à leurs territoires. »

L’autre facteur de cohérence territoriale tient au maillage serré de PME. A l’est, de Figeac à Rodez, la Mecanic Vallée regroupe 19 000 salariés dans l’aéronautique et l’automobile. A l’ouest, vers Bordeaux, partenaire historique, des sous-traitants travaillent en réseau avec la capitale toulousaine le long de l’itinéraire à grand gabarit de l’A380. « Avec plus de 4 millions d’euros, l’ex-Midi-Pyrénées est la première région en matière de facturation pour Airbus Avion Commercial, devant l’Ile-de-France, avec 2,5 millions d’euros », confirme Cécile Ha Minh Tu, responsable des relations institutionnelles d’Airbus Operations.

La métropolisation toulousaine a aussi laissé de côté des communes rurales plus excentrées.

Tous les territoires ne sont pourtant pas logés à la même enseigne. La métropolisation toulousaine a aussi laissé de côté des communes rurales plus excentrées. Sur les 10 000 habitants installés dans le Gers depuis dix ans, 90 % ont choisi la première couronne, située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville de Toulouse. Au-delà, les transferts sont plus rares, et les communes doivent lutter pied à pied contre la fracture territoriale.

Dans le nord du Gers, on veut miser sur la qualité de vie et les richesses de la région. « Il n’est pas question d’arriver en mendiant », assure d’emblée le sénateur Raymond Vall, également président du Pays Portes de Gascogne, qui regroupe 70 000 habitants dans les zones les plus isolées du Gers. Si les métropoles sont devenues « les principaux moteurs de la croissance du pays, concentrant 82 % de l’économie, admet-il, elles ont aussi besoin de nous et de nos atouts de communes rurales ».

Le sénateur assume la paternité des « contrats de réciprocité », créés en 2015 dans la foulée de la loi instituant les métropoles. Ces contrats prévoient que l’Etat finance des projets innovants à partir du moment où ils sont issus d’une concertation entre une métropole et une zone rurale. En juillet 2017, il a signé avec Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse Métropole, un contrat de réciprocité qui encourage les coopérations entre Toulouse et le Gers. « Les métropoles ont une responsabilité et doivent jouer un rôle d’accélérateur et de solidarité à l’égard des zones rurales », affirme-t-il.

Un fab lab et une pépinière de start-up à la campagne

Parmi les premiers chantiers déjà financés par la région et l’Etat figure un tiers-lieu situé au cœur de la bastide du XIIIe siècle de Fleurance, commune de 6 500 habitants. Difficile d’imaginer, en visitant la demeure ancienne aux parquets vermoulus, que s’ouvrira bientôt ici un fab lab, adossé à une pépinière de start-up.

A Fleurance, commune de 6 500 habitants, le contrat de réciprocité entre le Pays Portes de Gascogne et Toulouse Métropole prévoit la création d’un fab lab, adossé à une pépinière de start-up dans une demeure ancienne au cœur de la bastide du XIIIe siècle. / Claire Legros LE MONDE

La société Geosigweb, spécialisée dans la gestion de données dans les territoires ruraux, a prévu de s’y installer. « Nous recrutons aussi des start-up dédiées aux méthodes de production agricoles bio ou à l’aquaponie », explique Pascal Lafont, patron des Vergers de Gascogne, une PME réputée pour ses conserves de pêches blanches, et membre du Pôle 21, qui regroupe les entreprises locales.

« La métropole a tout à gagner à développer son activité économique en cohérence avec ceux qui l’entourent. »

Un autre volet du contrat porte sur la valorisation des circuits courts alimentaires pour nourrir la métropole. Depuis avril 2017, les 450 éleveurs gersois réunis au sein de l’association Lou Béthêt (le « petit veau » en gascon) fournissent en viande au moins une fois par mois les cantines toulousaines. « Soit près de 30 000 repas chaque mois », précise Simon Faulong, éleveur de veaux Label rouge à Saint-Brès, près d’Auch, qui défend une filière de qualité. « La métropole a tout à gagner à développer son activité économique en cohérence avec ceux qui l’entourent, estime François Chollet, vice-président de Toulouse Métropole. Nous sommes demandeurs d’homogénéité territoriale. »

« Des petites sœurs qui veulent participer »

« L’enjeu n’est plus de s’élever contre la métropolisation comme nous le faisions il y a vingt ans, mais de l’accompagner », reconnaît Philippe Bonnecarrère, ancien président de l’agglomération albigeoise et sénateur du Tarn, situé à l’est de Toulouse. Comme de nombreuses villes moyennes en France, Albi a vu fermer en dix ans une partie de ses commerces du centre-ville. Mais là aussi, l’élu ne veut pas « arriver avec un cahier de doléances ». « Toulouse a besoin de notre patrimoine culturel pour assurer son assise de métropole internationale, assure-t-il. Si les Japonais connaissent la région, c’est grâce au Musée Toulouse-Lautrec d’Albi. Nous sommes des petites sœurs qui veulent participer, pas des petites-nièces qu’on met au bout de la table. »

Depuis huit ans, des « dialogues métropolitains » réunissent régulièrement Toulouse et ses voisines Montauban, Rodez, Cahors, Albi ou Carcassonne, des villes moyennes qui dessinent une étoile autour de la Ville rose. La logique de métropolisation bouscule les équilibres en place. Au département de Haute-Garonne, on s’inquiète de la volonté, exprimée par Emmanuel Macron, de transférer aux métropoles les compétences des départements situés dans les grandes aires métropolitaines, comme c’est le cas à Lyon depuis 2014. « La métropole de Toulouse marche pour ses 37 communes, prévient Georges Méric, président du conseil départemental. Les 550 autres communes de Haute-Garonne, périurbaines et rurales, payent le prix de la fracture territoriale. C’est le rôle du département d’aménager le territoire et de traiter à la fois les fractures sociale et territoriale. »

Très haut débit en zones rurales

Des communes du Gers qui se verraient bien en annexes de Toulouse, consacrées au télétravail.

La généralisation du très haut débit pourrait redessiner les relations entre Toulouse et ses territoires. Une aubaine pour des communes du Gers qui se verraient bien en annexes de la métropole, consacrées au télétravail. Plusieurs espaces de coworking « rural » sont prévus dans le contrat de réciprocité, en partenariat avec la région. Une piste qu’étudie aussi la métropole, saturée de voitures et où la crise climatique oblige à repenser les mobilités. Sur 3,5 millions de déplacements quotidiens, seuls 600 000 se font en transport en commun, et le plan de déplacement urbain, qui en prévoit 500 000 de plus en 2025, reste insuffisant. Signe des temps, en février 2017, Airbus France a ouvert la possibilité de télétravailler deux jours par semaine à ses 40 000 salariés, dont la majorité se déplace en voiture. A Gimont, un futur espace de cotravail de 150 m2, situé à une encablure des chaînes d’avions de Latécoère, est déjà en chantier.