Sébastien Ogier, ici avec son copilote Julien Ingrassia, a conquis un cinquième titre consécutif, dimanche 29 octobre, au pays de Galles. / GEOFF CADDICK / AFP

Il n’y aura pas de suspense, ce dimanche 19 novembre, lors du dernier rallye de la saison en Australie : le titre de champion du monde des pilotes a déjà été attribué le 30 octobre, au pays de Galles et, comme d’habitude, son récipiendaire était français. Pour la quatorzième année consécutive.

La performance de Sébastien Ogier (écurie M-Sport) a pourtant été accueillie dans un relatif anonymat en France. Le pays s’est habitué – pour ne pas dire lassé – à voir ses représentants dominer outrageusement le rallye mondial. « C’est quand même dommage qu’un titre de champion du monde des rallyes pour un Français soit devenu banal, regrette Sébastien Ogier. J’ai l’impression que le jour où cette série incroyable s’arrêtera, les gens réaliseront ce que nous avons fait»

« Je dois tout à la Fédération française »

Depuis 2004 et le premier sacre de Sébastien Loeb, le titre pilote est toujours tombé dans l’escarcelle d’un tricolore. Au règne sans partage de l’Alsacien a succédé en 2012 celui d’un autre Sébastien.

Si les deux anciens rivaux chez Citroën en ont fait le pays le plus titré en rallye, la France n’était pas une nation dominante avant leur arrivée en WRC. Depuis la création du championnat du monde en 1977, seul Didier Auriol (en 1994) avait triomphé d’une discipline souvent promise à un Scandinave. Comment expliquer alors une telle razzia au cours des quinze dernières années ?

As du volant, capables de s’imposer sur tous les terrains, les deux Sébastien ne manquent jamais de rappeler le rôle de la FFSA (Fédération française du sport automobile) dans leur éclosion. « Je leur dois tout, reconnaît Ogier. Sans eux, je ne ferais sans doute pas de sport auto. Issu d’un milieu assez modeste, je n’avais pas les moyens de me lancer dans cette discipline. Les quatre premières années de ma carrière se sont donc déroulées sous les couleurs de la fédération»

Destiné à une carrière de mécanicien automobile, l’ancien pilote Volkswagen a été repéré dans le cadre du programme « Rallyes Jeunes », créé en 1994 par la FFSA. Pour 20 euros, des jeunes de 18 à 25 ans peuvent participer aux sélections organisées à travers la France. A l’issue d’une grande finale, organisée en novembre sur le circuit de Lédenon (Gard), les deux meilleurs se voient offrir une saison en championnat de France juniors.

A la recherche de l’extraterrestre

Dans une discipline onéreuse, ce système de détection permet de ne pas laisser sur le bord de la route les talents ne disposant pas de l’assise financière suffisante. « A l’étranger, ils collaborent davantage avec des jeunes déjà entrés en compétition, le réservoir est donc moins large, compare Christophe Lollier, directeur technique national à la FFSA. On a plus de chance de tomber sur deux extraterrestres en voyant passer 6 000 jeunes qu’en cherchant parmi une cinquantaine de licenciés déjà financés. »

Pour Yohan Rossel, lauréat de l’édition 2013 de « Rallyes Jeunes », le chemin est encore long avant d’espérer se frotter au gratin mondial. Sacré champion de France juniors l’année suivant sa détection par la fédération, le pilote de 22 ans peine aujourd’hui à se faire définitivement un nom en WRC.

Soutenu financièrement par la FFSA et Citroën, il a disputé quelques manches de WRC2 (antichambre du championnat du monde) en 2017, quand son budget le lui permettait. L’occasion de se faire remarquer (10e en Corse et premier point en championnat du monde WRC), mais pas suffisamment pour s’assurer un volant pour l’ensemble du calendrier.

« Je suis sous contrat avec Citroën jusqu’à la fin de l’année [2017], mais je n’ai aucune certitude pour la saison prochaine, regrette le Gardois. Je vais certainement me concentrer sur le championnat de France, en espérant marquer les esprits. L’objectif est de se faire repérer par un constructeur pour repartir en WRC2, voire WRC, en 2019»

Pariant sur les formules de promotion pour mettre en lumière ses pilotes, la fédération ne peut pas financer seule un volant au plus haut niveau. Même pour ses talents les plus prometteurs. « La FFSA peut donner des aides personnalisées à condition qu’il y ait un projet commun avec un constructeur, confirme Christophe Lollier. Quand le projet est boiteux, on attend»

Précarité

Après avoir été repéré puis accompagné par la FFSA, le passage sur les radars d’un constructeur est un préalable pour tout jeune rêvant d’évoluer au plus haut niveau. La détection par le programme « Rallyes Jeunes » n’est pas le seul point commun entre Loeb et Ogier. Tous deux ont grandi dans le giron de Citroën.

Si l’expérience du second sous les couleurs de la marque aux chevrons n’a pas survécu à sa première saison pleine en WRC – pourrie par la rivalité entretenue avec son aîné –, les deux derniers champions du monde ont découvert le rallye international avec le constructeur national : un atout supplémentaire pour les pilotes tricolores.

Grand espoir du rallye français, Yohan Rossel n’est lui toujours pas certain de devenir professionnel. Son programme en rallye ne lui permettant pas d’exercer à un emploi en parallèle, il alterne week-ends de compétition et semaines chez lui, à côté de Nîmes, où il donne un coup de main dans le garage de son père et coache quelques jeunes en karting. « Je tiens pour l’instant. Mais ça ne pourra pas durer dix ans », prévient-il.

Hormis Ogier, le seul pilote français régulièrement au départ des manches WRC est Stéphane Lefebvre, soutenu par Sébastien Loeb et ses sponsors, Citroën et Red Bull. Mais, de sa 15place au classement des pilotes, il ne semble pas être encore en mesure de prolonger l’incroyable série des tricolores. Il faudrait pour cela qu’Ogier décide lui-même de prolonger son aventure en rallye. Mercredi, il a annoncé que ce ne serait, en tout cas, pas chez Citroën, qui n’a pas souhaité s’aligner sur ses prétentions salariales.