Siemens a annoncé, jeudi 16 novembre, son intention de supprimer plus de 6 900 emplois / MICHELE TANTUSSI / AFP

Le géant allemand de l’industrie a décidé de tailler dans le vif. Siemens a annoncé, jeudi 16 novembre, son intention de supprimer plus de 6 900 emplois, soit près de 2 % de ses effectifs au sein de ses activités énergie, dont la moitié en Allemagne, et de fermer trois sites de production. Le plan social, qui touche un des secteurs emblématiques de Siemens, est la conséquence d’un effondrement des commandes sur le marché mondial des grandes centrales.

Environ 2 600 postes doivent disparaître en Allemagne, plus 3 600 dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis. A cela s’ajoute la suppression prévue de 760 emplois dans les départements techniques de transmission et industrie de transformation. Deux sites de production, à Leipzig et Görlitz (Saxe), seront définitivement fermés. L’usine d’Erfurt, qui produit également des turbines, devrait être vendue.

Ce gigantesque plan social est le second annoncé par le groupe de Munich en une dizaine de jours. Le 6 novembre, Siemens avait fait part de son intention de supprimer 6 000 emplois au sein de sa coentreprise Gamesa, le numéro un mondial des éoliennes, confrontée à une forte baisse d’activité. Avec les mesures annoncées jeudi, le chiffre des baisses d’effectifs se porte à presque 13 000, soit une coupe bien plus large que ne l’avaient anticipé les observateurs.

Des bénéfices confortables en 2016

Mais Siemens n’a pas le choix, estiment ses dirigeants. Malgré les bénéfices confortables dégagés par le groupe en 2016, l’activité de construction de centrales est en berne depuis des mois. Depuis l’énorme contrat signé avec l’Egypte pour la livraison de trois centrales, en 2015, les carnets de commandes restent désespérément vides. Fin 2011, Siemens avait vendu 249 grandes turbines d’une puissance de plus de 100 mégawatts dans le monde. En 2017, il n’en a livré que 122. A l’avenir, le groupe estime la demande mondiale à environ 100 turbines par an… alors que ses capacités lui permettent actuellement d’en produire 400.

Les experts du groupe, qui espéraient voir les centrales à gaz occuper une place privilégiée à côté des énergies renouvelables, ont déchanté. L’émergence du solaire et de l’éolien en Allemagne et en Europe a imposé un système où la production d’énergie est de plus en plus décentralisée, et où les grandes centrales sont de moins en moins compétitives. Cette concurrence est renforcée par la faiblesse actuelle du prix de l’électricité. Les énergéticiens, en particulier outre-Rhin, préfèrent faire tourner leurs vieilles centrales à charbon rentabilisées, plutôt que d’investir dans de nouvelles installations. Et les prix actuels du carbone sur le marché européen ne les incitent pas à utiliser leurs réacteurs à gaz, moins polluants.

Conséquence : Siemens n’a livré sur son marché domestique que deux centrales à gaz ces trois dernières années. General Electrics, le grand rival de l’industriel allemand aux Etats-Unis, doit également réduire massivement ses effectifs pour faire face à l’effondrement de la demande mondiale. Depuis des mois, les deux groupes se livrent sur les marchés mondiaux une concurrence féroce. Aux Etats-Unis, au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique, où la demande est plus forte qu’en Europe, les deux industriels tirent sur leurs marges, en espérant des jours meilleurs. Qui pourraient bien ne jamais arriver.

Le syndicat IG Metall a annoncé des mesures de résistance

Chez Siemens, le plan social annoncé pourrait déclencher un mouvement social inédit. Car les salariés du groupe bénéficient depuis 2010 d’une garantie d’emploi et de maintien des sites de production, accordée par le précédent PDG, Peter Löscher. L’obtention de cette garantie avait été célébrée par le syndicat IG Metall comme une grande victoire sociale. Mais cette mesure pourrait voler en éclats : si la direction déclare vouloir éviter les licenciements secs, elle ne peut le garantir au vu du nombre de postes à supprimer.

Le syndicat IG Metall, qui gronde depuis des semaines contre les plans du groupe, a annoncé des mesures de résistance, sur un ton inhabituellement agressif dans une entreprise emblématique de la codécision. « Le syndicat considère ce plan comme une attaque de front contre les salariés », a déclaré Jürgen Kerner, codirecteur du syndicat et du membre conseil de surveillance de Siemens. « Jamais je n’ai vécu une telle réunion. L’ambiance était extrêmement tendue », a rapporté la directrice des ressources humaines de Siemens, Janina Kugel, après une première discussion avec les représentants des salariés.

Cette ambiance délétère pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour le PDG du groupe, Joe Kaeser. Celui-ci a besoin du soutien des représentants des salariés pour poursuivre sa stratégie, qui consiste à donner plus d’autonomie aux départements du groupe. La résistance d’IG Metall risque de compliquer les prochaines étapes prévues par le patron bavarois : la mise en Bourse de son département techniques médicales, prévue au premier semestre 2018, et surtout le rapprochement des activités ferroviaires avec le français Alstom.