Manifestation contre le régime de Bachar Al-Assad, le 29 janvier 2016, à Genève. / FABRICE COFFRINI / AFP

Après six ans et demi de guerre, le scénario est désormais bien rodé. Pour protéger son allié syrien, la Russie a de nouveau mis son veto, jeudi 16 novembre, à une résolution présentée par les Etats-Unis, qui visait à renouveler le mandat de la commission d’enquête sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. C’est la dixième opposition formelle de Moscou, membre permanent du Conseil de sécurité, sur le dossier syrien.

Ce schéma de blocage a été mis en place depuis le début du conflit, le 15 mars 2011. Depuis cette date, Moscou se contente de voter les résolutions se cantonnant à une condamnation morale des crimes perpétrés par le régime et par les groupes armés présents. Mais se garde d’approuver les initiatives internationales ayant des effets contraignants sur Damas.

  • 2011, le couple russo-syrien se forme

C’est en octobre 2011 que débute ce long processus, après six mois de ce qui est alors perçu comme une insurrection dans la lignée des printemps arabes. La Russie et la Chine bloquent un projet de résolution des Occidentaux qui veut prendre des « mesures ciblées » pour enrayer la répression menée par le régime de Bachar Al-Assad, cet ophtalmologue de formation devenu président en 2000.

Les manifestations, quasi quotidiennes dans le pays, sont écrasées dans le sang. Le terme de « crimes contre l’humanité » est brandi contre l’homme fort de Damas. Le retrait d’une référence directe à des sanctions ne suffit pas à surmonter l’opposition de Moscou. Il s’agit du premier veto russo-chinois depuis celui qui avait bloqué des sanctions de l’ONU contre le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, en juillet 2008. 

  • 2012, plan de paix avorté

Le 4 février 2012, face à l’intensification du conflit, le Conseil de sécurité soumet au vote un projet de résolution demandant le départ du président syrien, pour faire suite au plan de la Ligue arabe prévoyant une transition démocratique. La Chine et la Russie s’opposent à sa mise en place.

L’ambassadeur français Gérard Araud dénonce ce « triste jour pour ce Conseil, pour les Syriens et pour les amis de la démocratie ». L’ambassadrice américaine Susan Rice se dit « dégoûtée », alors que le vote intervient quelques heures après un bombardement dans la ville de Homs ayant fait plus de 260 morts.

Même scénario le 19 juillet 2012, quand le couple russo-chinois s’oppose à la résolution occidentale menaçant le régime syrien de sanctions économiques et diplomatiques en cas de nouvelles utilisations d’armes lourdes.

Ce veto marque la fin du plan de paix de Kofi Annan, jamais vraiment mis en œuvre – les 300 observateurs militaires ayant suspendu leurs activités pour des raisons de sécurité. Le plan avait pourtant été voté en avril 2012, y compris par la Russie. Pour l’ambassadeur russe Vitali Tchourkine, cela aurait ouvert « la voie » à une intervention militaire.

  • 2014, blocage juridique

En mai 2014, la France se fait retoquer alors qu’elle tente de contrer le blocage russe par un biais juridique : Paris propose la saisine de la Cour pénale internationale (CPI), des crimes commis par les deux camps. Un moyen d’appâter Moscou, qui réclame depuis le début du conflit que le régime de Bachar Al-Assad et l’opposition soient considérés de la même manière.

Le texte, co-parrainé par une soixantaine de pays, est bloqué par la Russie et la Chine. Ce veto contribue à renforcer le climat d’impunité dans le conflit syrien, qui a déjà causé plus de 150 000 morts à cette date. Les iniatives internationales vont alors se raréfier.

  • 2016, le martyr d’Alep

Ce n’est qu’en octobre 2016 qu’elles reprennent. La France est à l’initiative d’un texte appelant à une cessation immédiate des bombardements sur Alep, dans le nord de la Syrie. Mais la Russie, qui intervient dans le pays depuis le 30 septembre 2015 – apportant notamment un soutien aérien au pouvoir syrien – s’y oppose. La Chine, qui s’alignait jusque-là sur la position russe, s’abstient.

En décembre 2016, les veto russe et chinois sont posés contre le texte présenté par l’Espagne, l’Egypte et la Nouvelle-Zélande proposant une trêve de sept jours à Alep. Le texte spécifiait que « toutes les parties au conflit syrien mettent fin à toutes leurs attaques dans la ville d’Alep », et prévoyait « de répondre aux besoins humanitaires urgents » en laissant entrer les secours dans les zones assiégées.

Mais la faiblesse des forces rebelles au moment de la proposition pousse les Russes à refuser la résolution pour des raisons militaires stratégiques. Depuis le 15 novembre, les quartiers rebelles subissent les bombardements les plus violents depuis deux ans, à coups de barils d’explosifs, d’obus et de roquettes. Plus de 50 000 des 250 000 habitants d’Alep-Est ont fui depuis le lancement de l’offensive du régime dans la ville martyre.

  • 2017, attaques chimiques

Le 28 février 2017, la Russie et la Chine mettent leur veto à une résolution de l’ONU qui prévoyait des sanctions contre onze responsables syriens, principalement des chefs militaires, et dix organismes, tous en lien avec l’utilisation d’armes chimiques en Syrie à trois reprises en 2014 et 2015. En ligne de mire : les forces gouvernementales (après trois attaques au chlore) et les djihadistes de l’Etat islamique (pour avoir utilisé du gaz moutarde).

Début avril, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France réclament une enquête internationale et la coopération de Damas sur l’attaque chimique du 4 avril à Khan Cheikhoun, imputée au régime de Bachar Al-Assad. La résolution devait apporter le soutien de la communauté internationale aux enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Le texte exigeait notamment que les autorités syriennes fournissent les détails des activités militaires de son armée le jour de l’attaque, ainsi que les noms des commandants des escadrons aériens, et donnent un accès aux bases aériennes.

Fin octobre, la Russie s’était déjà opposée au renouvellement d’un an de la mission du Joint Investigative Mechanism (JIM) ou mécanisme d’enquête conjoint de l’ONU et de l’OIAC. Le travail de ces experts chargés de recueillir les preuves et d’identifier les auteurs des attaques chimiques en Syrie était pourtant l’un des rares acquis en termes de coopération internationale sur le dossier syrien. L’avenir du groupe s’est encore un peu plus obscurci avec le vote du 16 novembre.