Bruxelles, siège de la Commission européenne. / GEORGES GOBET / AFP

Avec le sommet social, qui se tient ce vendredi 17 novembre à Göteborg, sur la côte ouest de la Suède, les leaders européens veulent avant tout envoyer un signal aux citoyens de l’Union : montrer que la crise économique est bien finie et qu’il est désormais grand temps de s’engager pour une dimension sociale de l’Union. Au programme : la signature d’un socle européen des droits sociaux, une liste de vingt principes déclinée autour de plusieurs thèmes (l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, des conditions de travail équitable et la protection et l’insertion sociales).

« Notre but est d’améliorer la vie quotidienne des gens et d’entraîner plus de convergence entre les Etats-membre. Une convergence qui va vers le haut », explique la commissaire européenne Marianne Thyssen, qui voit dans l’adoption de ce pilier social « le signal le plus puissant que nous puissions donner à nos citoyens pour leur montrer qu’ils arrivent en première place ». La crise économique « est derrière nous », l’Union renoue avec l’emploi et la croissance, mais « elle fait face à de nouveaux défis : la globalisation, la digitalisation, le vieillissement de la population ».

Mais la limite de ce « socle » est évidente : le texte s’apparente à une liste de bonnes intentions non contraignantes. « Ce sont des recommandations, pas des ordres », reconnaît le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis. Cette initiative émane de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. L’ex-premier ministre du Luxembourg, issu du parti chrétien social, avait promis quand il a pris la tête de l’institution, il y a trois ans, un « triple A social » pour l’Union.

Peu de compétences

Mais l’Europe, au niveau communautaire, ne dispose quasiment d’aucunes compétences pour agir sur le terrain social. C’est le commissaire français Jacques Delors qui avait le premier lancé le projet d’une « Europe sociale », au milieu des années 1980. Il est resté largement à l’état de slogan : les pays membres ont jusqu’à présent eu beaucoup de mal à s’entendre. Certains, comme le Royaume-Uni, bloquant systématiquement toutes les initiatives bruxelloises pour des raisons de souveraineté.

La Suède fait aussi partie des récalcitrants : elle a toujours craint de devoir sacrifier son Etat-providence au moins-disant social européen. Attachés aux conventions collectives, les syndicats suédois s’opposent par exemple à un salaire minimum européen. De fait : quel sens ce « smic» européen aurait-il, quand les disparités salariales entre les capitales n’ont cessé de se creuser sous l’effet de la crise ? Le salaire mensuel minimum en Bulgarie reste près de neuf fois moindre que celui du Luxembourg.

Les capitales ont aussi été incapables de réviser la directive sur le temps de travail (48 heures dans l’Union), datant de 2003 et ils ont enterré en 2015 un texte sur le congé maternité, après huit ans de vaines discussions. Le seul vrai instrument de la politique sociale européenne, c’est l’argent : le Fonds social européen (FSE).

Lutte contre le dumping social

Mais avec le départ attendu des Britanniques, et de leurs 10 à 12 milliards d’euros de contributions annuelles au budget de l’Union, cette enveloppe risque d’être fortement contrainte. Quand à l’idée d’un budget de la zone euro consacré à une assurance chômage européenne, elle est poussée par la famille sociale-démocrate à Bruxelles, mais les conservateurs ne veulent pas en entendre parler.

C’est surtout la lutte contre le dumping social qui a motivé les gouvernements de certains pays européens (France en tête). Les Français poussent pour une révision de la directive sur le travail détaché, initiée par la Commission début 2016, et ont pour l’instant obtenu une limitation à un an du statut du détachement (garantissant des droits aux travailleurs européens dans un autre Etat membre que le leur). Les capitales de l’est de l’europe ont cédé mais continuent à penser que l’ouest réagit à des réflexes protectionnistes.

Un sommet pour rien ?

Alors, un sommet social pour rien ? Hans Dahlgren, secrétaire d’Etat suédois aux Affaires européennes, veut croire à des retombées : « les leaders vont sentir la pression et j’espère avoir de l’inspiration pour mener les discussions dans leurs pays ». Le patron de la puissante centrale syndicale suédoise LO, Karl-Petter Thorwaldsson, fervent défenseur de la globalisation et de la flexisécurité, est optimiste : « C’est la première fois depuis le traité de Lisbonne [2007] que l’UE montre aussi clairement qu’elle a des ambitions européennes. »

Il appelle ses collègues syndicalistes à l’étranger à assumer leurs responsabilités, déplorant le « radicalisme » de certaines organisations devenues minoritaires, les encourageant à renouer avec le dialogue social : « Il faut faire preuve de pragmatisme, montrer qu’on est prêt à négocier. Quand je passe un accord avec le patronat suédois je fais des concessions, car le modèle où il n’y a qu’un gagnant ne fonctionne pas. »

C’est ce modèle du consensus que le premier ministre suédois, le social-démocrate Stefan Löfven, ex-leader du puissant syndicat de la métallurgie Metall, essaie de vendre à l’étranger, dans le cadre de son « global deal » : une initiative menée en partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation internationale du travail (OIT), visant à encourager un dialogue social tripartite, qui rassemble une quinzaine de pays et à laquelle la France devrait adhérer vendredi, en marge du sommet de Göteborg.

En l’absence d’Angela Markel, Emmanuel Macron sera accueilli en super-star, dans un pays qui apprécie son engagement sur la scène européenne et sa volonté de réformer la France et son marché du travail, avec une politique que l’on veut croire inspirée du modèle social scandinave.