Clarisse Crémer a terminé sur le podium de la Mini-Transat 2017, en Martinique, dans la catégorie « série ». / Breschi / Mini Transat La Boulangère

Nous voilà rassurés : « Ce n’est pas un non-sujet », confirme la navigatrice Clarisse Crémer. Cette année, 10 femmes – sur 81 participants – ont pris le départ de la Mini-Transat, à La Rochelle, dont les concurrents continuent ce vendredi de franchir la ligne d’arrivée en Martinique, trois jours après la victoire de Ian Lipinski, mardi 14 novembre. Le Français s’est imposé dans la catégorie « proto », celle des bateaux prototypes. Clarisse Crémer aussi a sablé le champagne : elle a fini à la 2e place de l’autre classement, celui des voiliers de « série ».

Dix navigatrices, c’est un record pour la 21e édition de cette transatlantique en solitaire en deux étapes, sans moyens de communication. En 2015, elles n’étaient que quatre.

Encore rare dans le monde de la voile, cette présence féminine tient en partie à « la particularité » de la Mini-Transat : une course plus accessible, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, d’un « niveau hyper hétérogène ». L’accessibilité est surtout économique : les bateaux coûtent de 15 000 à 100 000 euros, selon les organisateurs, une large gamme de prix qui s’explique par l’existence de trois catégories.

Des sommes plus abordables que celles d’une autre transatlantique, la Jacques-Vabre – remportée le 13 novembre par Thomas Coville et Jean-Luc Nélias –, ouverte à des bateaux de plus grande envergure : six femmes étaient au départ sur 76 compétiteurs. « Pour ma Mini-Transat, je n’ai pas eu forcément besoin d’un énorme sponsor », explique Marta Guemes, 31 ans, pour qui c’est la première course au large cette année. Les coûts de préparation, hors achat du bateau, lui demandent « 65 000 euros sur deux ans ». L’ingénieure espagnole participe avec l’appui financier de son employeur habituel, un groupe d’ingénierie établi à Grenoble.

« Barrière psychologique »

La Mini-Transat présente un autre avantage : la taille raisonnable des bateaux – 6,5 mètres au maximum – permet de « se mettre moins de barrières, même pour des débutantes », apprécie Clarisse Crémer, 27 ans à peine. Elle rappelle cette évidence : les courses de voile en haute mer sont mixtes, et les femmes ont tout autant que les hommes le droit d’y participer. En dépit de cette règle, la surreprésentation masculine survient dès le plus jeune âge.

La diplômée d’HEC regrette « la barrière psychologique » que s’infligent d’elles-mêmes certaines volontaires, refusant finalement de se lancer en raison d’un « surmoi social » qui les inciterait à l’autocensure. Il y a aussi et surtout, explique-t-elle, des clichés encore tenaces : « Je ne suis pas spécialement féministe dans la vie de tous les jours, mais [dans la voile] on va demander à une fille de faire deux fois plus ses preuves qu’à un mec, on va nous écouter beaucoup moins », explique la navigatrice.

« Le premier truc qu’on proposait à une fille, c’était de s’occuper des sandwiches »

Exemple personnel :

« Quand j’ai commencé les courses en équipage, le premier truc qu’on proposait à une fille, c’était de s’occuper des sandwiches. Alors, soit elle va se lasser plus vite, soit elle va mettre trois fois plus de temps qu’un mec pour apprendre parce qu’elle aura moins de responsabilités importantes à bord. »

Très présente sur Internet pour relayer photos et vidéos de navigation, la Parisienne poursuit : « J’entends parfois : “Ah, pour une fille, c’est super de faire ça” ou “C’est bien, pour une fois il y a pas mal de filles”, toutes sortes de phrases dont on ne sait pas trop quoi penser. »

Mental et anticipation

Une chose de sûre : aucune ne souhaite la création d’un classement féminin en parallèle de la course principale. « Je trouve ça absolument excellent de se bagarrer avec des bonhommes qui font 1,90 m et qui pèsent 80 kilos, raconte Marta Guemes, plus petite et plus légère. A priori, on pourrait se dire qu’ils sont plus forts pour manier leurs bateaux, et en fait, non, ils peuvent arriver derrière moi. »

D’où ce rappel, encore plus juste pour les petits bateaux de la Mini-Transat :

« Le bateau, ce n’est pas que du physique. Le mental peut jouer un rôle énorme. L’anticipation, aussi. Si une de mes manœuvres rate, j’aurai peut-être moins de force pour tirer la voile ensuite, donc je prévois beaucoup plus. Et puis, il y a un truc qui s’appelle l’adrénaline, le fait qu’on retrouve des forces où on n’en avait plus. »

En leur temps, Isabelle Autissier, Ellen McArthur ou Florence Arthaud avaient déjà fait montre de leur talent de navigatrice lors de tours du monde, y compris le Vendée Globe. Mais l’édition 2017 de la prestigieuse course autour du monde en solitaire avait marqué un retour en arrière : parmi les 29 skippeurs engagés, on ne trouvait pas une femme.