Le premier ministre Edouard Philippe (à gauche) et le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner à l’Assemblée nationale, le 15 novembre. / BENOIT TESSIER / REUTERS

« Le président des promesses tenues. » « On fait ce qu’on a dit ». Les députés La République en marche ne manquent pas de slogans sur les réseaux sociaux pour se féliciter de l’avancement de la mise en œuvre du programme d’Emmanuel Macron. En moins de six mois d’exercice, ils ont voté la loi d’habilitation pour les ordonnances réformant le code du travail, la loi de moralisation de la vie publique, adopté un nouvel arsenal antiterroriste. Ils voteront mardi 21 novembre en première lecture le budget porteur des principaux engagements fiscaux du président de la République. Un travail de plusieurs semaines, entrecoupé par l’adoption d’un projet de loi de finances rectificative d’urgence.

D’ici à la fin de l’année, ils examineront le projet de loi de finances rectificative pour 2017, ratifieront les ordonnances et devraient adopter la loi de réforme de l’entrée à l’université et la loi olympique. « Un rythme quasi de crise », observe-t-on dans l’entourage d’Edouard Philippe où l’on prévient que « ça va continuer ». « Le calendrier législatif du premier trimestre 2018 sera très intense », poursuit-on de même source.

Ralentir le rythme était pourtant au cœur des propositions d’Emmanuel Macron pour la rénovation de la vie politique. En page 27 de son programme, le chef de l’Etat promettait une « rénovation du fonctionnement parlementaire en limitant le nombre de mois pendant lesquels le Parlement légifère et en réservant plus de temps à l’évaluation et au contrôle de l’action du gouvernement ». Une promesse destinée à rééquilibrer le pouvoir du Parlement face à l’exécutif, et à revaloriser le travail des élus dont les marges de manœuvre sont limitées face au gouvernement. Mais qui ne s’applique pas pour cette première année de mandat.

Critique des us et coutumes

« On ne va pas évaluer les réformes avant de les avoir faites ! » justifie Pacôme Rupin, député de Paris et vice-président du groupe La République en marche (LRM). « On a fait déjà au moins la moitié et l’autre moitié est lancée. Maintenant, l’objectif c’est de faire le programme en un an », poursuit-il. « Le capital politique s’érode rapidement », analyse par ailleurs un membre de la majorité pour expliquer la frénésie législative actuelle.

« La seule petite douleur c’est que les parlementaires ont l’impression de ne pas avoir le temps de réfléchir », observe Pierre Person, député LRM de Paris. Depuis le début de la mandature, les députés En Marche qui découvrent le Palais Bourbon préfèrent mettre en cause les us et coutumes de l’institution pluôt que le calendrier des réformes imposé par l’exécutif. Séance de nuit, multiplication des réunions de commission, redondance des débats sont devenus des thèmes récurrents de complainte des élus. Plus récemment, ils ont été nombreux à monter au créneau sur le calendrier de la procédure budgétaire, étalé sur trois mois.

Chez les députés LRM, ces constats sont venus alimenter les velléités de révision de l’organisation du travail parlementaire, loin d’être abandonnées par l’exécutif. « La volonté d’avoir un Parlement qui contrôle et évalue davantage est réelle de la part d’Emmanuel Macron », assure le député MoDem Jean-Noël Barrot. « Il faut comprendre la promesse présidentielle dans le cadre de la volonté de réformer les institutions », rappelle Olivier Rozenberg, professeur à Sciences Po Paris, spécialiste des questions liées à l’activité parlementaire.

Réduire les navettes parlementaires

Dans la perspective de la révision constitutionnelle annoncée pour l’été prochain, François de Rugy, président de l’institution, a chargé plusieurs groupes de députés de faire des propositions pour rénover le fonctionnement du Palais-Bourbon. Au cœur des priorités, la possibilité de réduire les navettes parlementaires, ou encore de voter une partie de la loi en commission, afin d’accélérer le rythme de leur examen.

« La semaine de contrôle instituée en 2008 est régulièrement supprimée au profit du passage d’un texte par le gouvernement », Olivier Rozenberg, professeur

L’une des vertus affichées : libérer du temps aux députés pour, entre autres, se consacrer à leurs missions de contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Ces dernières font partie de leur rôle selon la Constitution mais sont le parent pauvre de l’activité parlementaire. Si des moyens existent, ils sont aujourd’hui sous-utilisés, au détriment d’une abondante production législative. « La semaine de contrôle instituée en 2008 est régulièrement supprimée au profit du passage d’un texte par le gouvernement », rappelle ainsi Olivier Rozenberg. Un groupe de travail présidé par Jean-Noël Barrot réfléchit actuellement aux moyens de les renforcer, dans la lignée de la promesse présidentielle.

Les députés LRM, dont certains étaient jusqu’à peu des cadres d’entreprise, emprunts d’une culture de l’audit, revendiquent leur volonté ferme de s’en emparer. Leurs premiers mois d’expérience les ont confrontés à la faiblesse de leurs outils en la matière. « Nous devons améliorer la qualité de nos études d’impact », qui sont fournies en amont du vote de la loi pour en préciser les objectifs, observe par exemple Jean-François Eliaou, rapporteur de groupe de travail sur le contrôle et l’évaluation.

Faire appel à des « expertises extérieures »

Les députés réfléchissent par ailleurs à la possibilité de pouvoir faire appel à des « expertises extérieures » pour venir en appui des parlementaires. Des conclusions qui inondent déjà de nombreux rapports parlementaires, écrits par des députés qui siègent toujours. « S’il y a des avancées, on les soutiendra », assure par exemple le socialiste Régis Juanico, qui salue la bonne volonté de la majorité sur le sujet. François Cornut-Gentille, (Les Républicains) également auteur de travaux sur la question, note néanmoins que la majorité « a une vision très économique de l’évaluation, centrée sur les questions budgétaires et fiscales, moins sur le reste de l’action gouvernementale ».

« Le contrôle, c’est la fonction la plus dévaluée au sein du Parlement. Pour les députés, c’est beaucoup plus valorisé d’être rapporteur d’un nouveau texte de loi que d’évaluer les effets des textes existants. »

Au Parlement, le renforcement de ces missions est un serpent de mer qui s’est jusque-là heurté à d’importants obstacles. Le premier est « culturel », concède Jean-Noël Barrot. « Le contrôle, c’est la fonction la plus dévaluée au sein du Parlement. Pour les députés, c’est beaucoup plus valorisé d’être rapporteur d’un nouveau texte de loi que d’évaluer les effets des textes existants ». « Le plus difficile, c’est de changer les mentalités », abonde Jean-François Eliaou.

L’autre obstacle est inhérent à l’exercice du pouvoir. « La politique, c’est aussi réagir à l’actualité en légiférant », souligne Olivier Rozenberg. « Macron s’est engagé à avoir une plus grande programmation législative, mais il faut aussi composer avec l’imprévu, on ne peut pas prévoir le vote de lois comme un constructeur programme la sortie d’une voiture », poursuit-il. Pour l’heure, les anciennes priorités demeurent à l’Assemblée. La semaine de contrôle prévue au mois de décembre sera à nouveau réquisitionnée au profit des travaux législatifs.